Le grand bond en arrière

Publié le 27 juin 2025 à 14h53

Jean-Christophe Caffet    Temps de lecture 4 minutes

Les craintes que l’on pouvait nourrir en début d’année n’étaient donc pas infondées. A posteriori, elles s’avèrent même nettement sous-estimées, bien en deçà de la réalité des faits d’ores et déjà observés. Car ce n’est pas uniquement dans une guerre commerciale tous azimuts que la nouvelle administration américaine s’est lancée, mais bien dans une véritable entreprise de démolition de l’« exceptionnalisme américain ».

Une authentique croisade contre tout ce qui a, jusqu’ici, fait la « grandeur » du pays et a sous-tendu l’universalisme (proclamé) de ses valeurs. Au-delà du volet strictement commercial, qui menace directement et à (très) brève échéance l’économie américaine – en bouleversant les chaînes de valeur mondiales sur lesquelles les Etats-Unis assoient pourtant leur domination – ce sont toutes les institutions et tous les piliers de la démocratie américaine qui sont désormais visés par la politique menée à Washington. Avec, en première ligne, la justice et la presse, donc l’Etat de droit, mais aussi l’éducation, la recherche scientifique, la santé publique…

«Désormais, ce sont les seuls rapports de force qui dictent la marche du monde, régissent l’ordre l’international, et les entreprises, en première ligne, doivent composer avec une géopolitique redevenue centrale.»

Pour s’en tenir à la politique économique, l’agenda suivi par Donald Trump a surpris l’ensemble des observateurs, même si les décisions ne sont en elles-mêmes pas surprenantes au regard du programme MAGA. Alors que l’on s’attendait, dans un premier temps, à la promulgation de lois et de décrets favorables à l’activité (dérégulation, baisses d’impôts…), force est de constater que l’idéologie a prévalu avec la priorité quasi absolue accordée à la lutte contre l’immigration et à la résorption d’un déficit commercial certes très élevé – signe du dynamisme de l’économie américaine – mais parfaitement (sur)financé – signe de son attractivité. Les moyens déployés pour ce faire laissent pour le moins songeur, avec, pour la politique commerciale, l’érection de tarifs douaniers dont l’histoire a démontré l’inutilité, sinon la nocivité, dans une succession de volte-faces burlesques inaugurée lors de « Liberation Day ». Ce n’est évidemment pas de la sorte que les Etats-Unis parviendront à se « réindustrialiser » – objectif souvent invoqué mais qu’il conviendrait peut-être de clarifier (quelle métrique ?) et, bien sûr, de préciser (quels secteurs ?). En termes de politique économique, un constat et un objectif – aussi lucides et légitimes soient-ils – ne font pas une stratégie. Et celle mise en œuvre par l’administration Trump, si elle existe, pose pour le moins question.

S’il est naturellement trop tôt pour tirer des conclusions définitives de ce deuxième (et dernier ?) mandat de Donald Trump, dont la versatilité le dispute désormais à la radicalité dans le discours et dans les faits, le bilan des cinq premiers mois est accablant : celui-ci aura surtout réussi, en moins d’un semestre, à fragiliser les alliances du pays et à miner la confiance dans ses institutions et dans sa monnaie – qui, pour l’instant, résistent encore, il faut le souligner. Compte tenu de la centralité des Etats-Unis, les répercussions sur l’économie mondiale et les chaînes de valeur seront évidemment majeures. Ce n’est pas seulement un jeu à somme négative qui est en train de se jouer, mais bel et bien un grand bond en arrière qui se profile et qui sera, malheureusement, bien difficile à inverser.

Au-delà des chiffres, c’est en effet une certaine idée de la mondialisation qui vacille – le multilatéralisme étant pour sa part déjà mort et enterré. Une mondialisation certes imparfaite, mais qui avait fini par dessiner les contours d’un ordre économique relativement prévisible, à défaut d’être stable, où les règles – même contestées – avaient le mérite d’exister. Désormais, ce sont les seuls rapports de force qui dictent la marche du monde, régissent l’ordre l’international, et les entreprises, en première ligne, doivent composer avec une géopolitique redevenue centrale. Les secteurs les plus exposés – métaux, automobile, technologie – sont les premiers à encaisser les chocs, mais nul n’est à l’abri dans un univers où les décisions politiques l’emportent dorénavant sur les logiques économiques.

Jean-Christophe Caffet Chef économiste ,  Coface

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