Fed et BCE : « une sorte d’inverse » qui se cherche

Publié le 24 septembre 2021 à 16h50    Mis à jour le 27 septembre 2021 à 10h01

Jean-Paul Betbèze

Pas facile mais obligatoire, tant pour la Fed que pour la BCE, que de faire « une sorte d’inverse » de ce qu’elles faisaient depuis 2007, pour le soulagement et le bonheur de tous à l’époque ! Il s’agissait alors, en effet, de soutenir les deux économies dans la crise américaine des subprimes, puis dans la crise des dettes souveraines en zone euro, donc de l’économie mondiale. A ce moment, face à l’ampleur et à la succession des crises, il avait été assez facile de convaincre la Fed, moins la BCE, d’acheter massivement des bons du Trésor et des obligations privées pour forcer les taux longs à la baisse. C’était le fameux quantitative easing (QE), pour « éviter 1929 en pire » !

Mais aujourd’hui, il faut penser à sevrer. « Une sorte d’inverse » est ainsi en cours, car « l’inverse seul » n’est évidemment pas possible : trop brusque, ce serait trop dangereux. Cela fait en effet longtemps que le QE est appliqué, depuis la crise américaine des subprimes jusqu’à la double dose liée à la pandémie, et il a bien marché. Le PIB est revenu, aux Etats-Unis et en zone euro, à son niveau de fin 2019, pas encore l’emploi, mais voilà déjà que l’inflation se réveille, alors que les bourses n’ont jamais été aussi hautes. Il faut donc, au moins, diminuer les nouvelles doses.

« Une sorte d’inverse » est ainsi nécessaire pour réduire le volume mensuel de QE : c’est le fameux tampering, mais en évitant d’aller trop vite en besogne, compte tenu des masses d’argent en jeu. Continuer les achats ferait naître ou croître des bulles, ferait prospérer les entreprises zombies, ferait fourmiller les cryptomonnaies, habituerait les entreprises et les ménages à la facilité des taux trop bas. Mais aller trop vite dans la réduction ne doit pas faire oublier que le portefeuille des banques centrales en bons du Trésor et en obligations privées représente 40 % du PIB américain pour la Fed et 70 % de celui de la zone euro pour la BCE. Réduire trop vite le QE pourrait alors susciter une trop forte hausse des taux longs : à la clef, sinon une crise financière et boursière grave, au moins un fort ralentissement économique !

Nécessaire donc mais pas facile de procéder, car les banquiers centraux se souviennent très bien du taper tantrum, la « colère du taper ». Les marchés ne cessent d’ailleurs de leur rappeler, si nécessaire, la mésaventure de Ben Bernanke indiquant au Sénat, en mai 2013, que, tout naturellement, il réduirait bientôt ses achats de bons du Trésor. Aussitôt après ses mots, sans aucun passage à l’acte, les taux longs montent, envoyant une onde de choc mondiale. La leçon était donc claire : pour faire baisser les taux pour soutenir l’activité, et la Bourse, les marchés sont d’accord, mais l’inverse doit être lent – et il faut les en convaincre ! Il faut donc mener « une bonne sorte d’inverse » pour piloter les anticipations : la forward guidance d’un atterrissage… en douceur, même avec plus d’inflation !

Voilà donc que se prépare depuis des mois cette marche arrière, avec l’idée d’assouplir les objectifs d’inflation. On parlera ainsi de « moyenne à moyen terme autour de 2 % », à la Fed et à la BCE, une BCE qui veut intégrer une préoccupation « verte » pour accompagner la nouvelle politique de la Commission européenne, et d’un plein emploi partout bien répandu à la Fed. Les esprits sont donc prêts à entendre que les achats nouveaux vont baisser sur les quelques mois qui viennent… mais ils voudront vite savoir de combien, autrement dit quand ils cesseront, puis ils s’inquiéteront du rythme de cession des titres que les deux banques centrales ont en portefeuille, au moment même où la pandémie est toujours là et où il faut lutter en plus contre un réchauffement plus cher et inflationniste ! Qui va acheter tout ce papier, et à quel prix ?

Cette « sorte d’inverse » est donc une marche arrière compliquée, allant de question en question, pour gagner du temps, la plus importante, à la fin, étant le niveau des portefeuilles d’obligations publiques et privées que la Fed et la BCE entendront garder. Ce serait une sorte de « réserve stratégique », comme pour le pétrole. L’idée de la Fed et de la BCE est d’empêcher les taux longs de trop remonter, donc la Bourse de trop baisser, avant même de songer à monter les taux courts. Cette « réserve stratégique financière » sera-t-elle un nouveau jalon d’une forward guidance à l’envers ?

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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