L'analyse d'Isabelle Job Bazille
Gare aux spéculations baissières sur le yuan
Le yuan (ou renminbi) a fait l’objet ces derniers mois de nombreuses spéculations avec des inquiétudes sur une possible perte de contrôle de la Banque centrale chinoise (People’s Bank of China ou PBoC) face à une hémorragie de capitaux, capable de faire plonger la devise chinoise et de déclencher une guerre des monnaies dans la région. Certains analystes ont même pu croire qu’une méga-dévaluation, loin d’être subie, serait en fait une tentative désespérée des autorités désarmées face à l’atterrissage plus brutal qu’anticipé de l’économie chinoise.
En août dernier puis en décembre, les mini-dévaluations du yuan chinois ont fait souffler un vent de panique sur les marchés, de crainte que ces ajustements soient le prélude à une série de dévaluations compétitives afin de relancer les exportations et de soutenir une croissance supposée agonisante. Pourtant, dans son communiqué du 11 août, la PBoC précisait qu’il s’agissait de l’application à effet immédiat d’une réforme du régime de change afin de promouvoir un système plus flexible laissant plus de place aux forces de marché. Le cours pivot contre dollar, qui sert de référence sur le marché des changes interbancaires est, depuis cette date, fixé quotidiennement en fonction du cours de clôture de la veille et des mouvements des principales devises. Autrement dit, la PBoC a migré vers un régime de change hybride, entre flottement et ancrage à un panier de devises.
Faut-il pour autant croire le gouverneur de la banque centrale, Zhou Xiaochuan, lorsqu’il s’engage à faire du yuan une ancre de stabilité ? La PBoC en a déjà fait la preuve par l’exemple. Alors que la Fed, la BoJ et la BCE ont toutes, à un moment donné, cherché sans vraiment le dire à déprécier leur monnaie en menant des politiques non conventionnelles d’assouplissement quantitatif, la Chine n’a pas pris part à cette course à l’échalote avec en toile de fond une appréciation tendancielle de sa monnaie (au sens effectif du terme), une tendance qui s’est accélérée après le décrochage des devises émergentes.
Il peut paraître par ailleurs étrange de plaider en faveur d’une libéralisation du régime de change en Chine tout en souhaitant une flexibilité unidirectionnelle avec un yuan qui ne devrait que s’apprécier. Tout comme l’idée de demander à la PBoC d’exceller dans l’art de la communication, un exercice qui n’a acquis ses lettres de noblesse chez les grands banquiers centraux que depuis une décennie. S’il est vrai que la stratégie de la PBoC gagnerait à être clarifiée, la liberté de parole de M. Zhou suivra le cheminement lent et sans doute cahoteux de l’ouverture financière de la Chine.
Du point de vue économique, dévaluer le yuan dans le seul but de relancer les exportations serait une action de courte vue et potentiellement contre-productive dès lors que des réactions en chaîne de devises concurrentes annuleraient tout ou partie des effets bénéfiques attendus avec, dans leur sillage, une instabilité ravageuse. Ceci irait par ailleurs à l’encontre du rééquilibrage aussi nécessaire que souhaitable de la croissance. En effet, la réduction du pouvoir d’achat externe de la monnaie et la remontée de l’inflation ne manqueraient pas d’impacter négativement la consommation privée au moment où elle est censée prendre le relais.
Même dans le secteur des biens échangeables, l’enjeu n’est pas de maintenir en vie, à n’importe quel prix, les industries à faible valeur ajoutée mais plutôt d’accélérer la montée en gamme pour faire de la Chine une puissance industrielle à part entière. Sans compter que l’affaiblissement de la monnaie chinoise risquerait de mettre sous pression les entreprises locales qui ont accumulé un passif en devises de près de 1 000 milliards de dollars US, même si l’endettement externe est loin de concurrencer la problématique de surendettement domestique.
Pas sûr non plus qu’une dévaluation soit jugée suffisamment crédible pour conduire à un renversement des anticipations, vu le signal très négatif envoyé sur la santé de l’économie et sur la capacité de contrôle des autorités, avec au contraire le risque d’alimenter la défiance et les sorties de capitaux. La stabilité semble en revanche avoir cette vertu, celle de rassurer les investisseurs étrangers et les Chinois eux-mêmes, un engagement d’autant plus crédible que la position de liquidité et de solvabilité externe de la Chine reste solide. Le pays n’a pas besoin de capitaux extérieurs pour se financer ; les réserves de change sont confortables et la balance courante reste excédentaire, de quoi même envisager un renforcement du yuan et ce à rebours des anticipations de marché…
. Le yuan est l’unité de compte et le renminbi la monnaie.
Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.
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