La Chine face au surendettement

Publié le 29 avril 2015 à 17h21    Mis à jour le 26 juin 2015 à 15h50

Isabelle Job Bazille

L’histoire nous enseigne qu’à l’origine de toutes crises financières se trouve l’accumulation à l’excès d’un lourd passif alimenté par des anticipations exagérément optimistes quant aux perspectives de croissance future, sur fond d’erreur collective dans l’appréciation du risque. Le retournement des anticipations vient révéler le caractère insoutenable d’une croissance assise sur des déséquilibres financiers croissants et met en évidence des situations patentes de surendettement. Le réveil peut être brutal, avec une phase de détresse financière parfois aiguë suivie d’un long et douloureux travail de purge. De ce point de vue, la montée excessivement rapide de l’endettement en Chine, combinée à une bulle de surinvestissement et une bulle immobilière, a de quoi inquiéter. Cette fuite en avant paraît d’autant moins tenable que la croissance, qui soutient l’édifice de la dette, ralentit.

Avec le déclenchement de la crise financière de 2008, l’arrêt brutal de la prodigalité des consommateurs occidentaux a posé un sérieux défi pour la croissance chinoise qui s’est longtemps nourrie de ses largesses. Le ralentissement concomitant du commerce mondial et des exportations chinoises a contraint l’empire du Milieu, drogué à la croissance, à chercher de nouveaux relais. C’est à partir de cette date que l’endettement privé a commencé à accélérer, pour financer d’importants projets immobiliers et de nouvelles capacités de production dans certaines branches d’activité (sidérurgie, ciment, mines) souvent liées au secteur de la construction (immobilier et infrastructure). L’investissement a remplacé les exportations comme principal moteur de la croissance, au point de représenter jusqu’à la moitié de la richesse annuellement créée, un poids aussi excessif qu’inédit.

En parallèle, la dette a progressé au rythme de 14 % l’an, quasiment deux fois plus vite que le PIB nominal, si bien que le ratio a gagné 72 points de pourcentage en l’espace de cinq ans pour dépasser aujourd’hui les 200 % du PIB (dont les trois quarts environ correspondent à de la dette d’entreprises). La combinaison toxique entre un endettement élevé, en forte augmentation, et une croissance qui ralentit est symptomatique d’une efficacité décroissante de l’investissement. Il faut accumuler toujours plus de capital et de dette pour tenter de maintenir à niveau la croissance et acheter la paix sociale. Cette frénésie est synonyme d’excès avec l’empilement de surcapacités productives et une surabondance d’offres sur le marché immobilier avec un rééquilibrage, en cours, par des baisses de prix qui fragilisent les débiteurs dont la dette est gagée par la valeur de ces actifs.

Cette vulnérabilité paraît d’autant plus grande qu’une partie de ces financements a transité par des circuits non conventionnels (le «shadow banking», avec le développement notamment des sociétés de fiducie) sans vrais contrôles ni garantie de l’État, et donc plus sensibles[GS1]  à des mouvements de panique et de fuites des dépôts. Cependant, à en croire une étude du FMI1, la problématique de surendettement semble cantonnée, encore à ce stade, à quelques acteurs hyper leveragés dans des secteurs sensibles comme la construction et l’immobilier, alors que l’endettement moyen des entreprises reste a priori gérable, même en cas de choc de taux ou de correction immobilière plus marquée. Ces problèmes localisés ne doivent pas pour autant être occultés et pourraient faire l’objet d’un traitement rapide et préventif (restructuration à froid des dettes) afin d’éviter l’enclenchement d’un processus cumulatif de baisses des prix (immobilier surtout) et de l’activité, source d’affaiblissement des systèmes, bancaire ou non bancaire. La grande force de Pékin est d’avoir les moyens réglementaires et institutionnels, en sus des moyens financiers, pour circonscrire d’éventuels événements de crédit et empêcher des réactions en chaîne à caractère systémique.

Dans tous les cas, le pilotage économique devient de plus en plus compliqué avec des conflits d’objectifs entre un nécessaire soutien à la croissance (et à l’emploi), mais au prix d’une accumulation de nouvelles dettes, et le besoin de stopper toute dynamique spéculative d’endettement pour réduire la probabilité d’une crise future, mais au prix d’un ralentissement de la croissance. C’est probablement la voie du «milieu» qui sera choisie avec une progression, modérée et contrôlée, du crédit afin de stabiliser les ratios de dettes, voire les réduire très progressivement, et de laisser le temps au temps pour résorber les excès de capacités.

 

1. «Assessing China’s Corporate Sector Vulnerabilities», Mali Chikavul, W. Raphael Lam, mars 2015.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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