La Chine veut relancer la croissance avec l’AIIB

Publié le 10 avril 2015 à 9h54    Mis à jour le 10 avril 2015 à 17h03

Anton Brender

L’Asie dispose désormais d’une nouvelle banque de développement. Début avril, la liste des 46 pays qui ont décidé de contribuer à son capital a été close. La création de l’Asian Infrastructure Investment Bank est un succès pour la diplomatie économique chinoise parvenue à mener à bien une initiative qui s’était d’emblée heurtée à une franche opposition des Etats-Unis. A côté de la Banque mondiale dont l’activité est largement sous influence américaine et de l’Asian Developement Bank, plus proche elle du Japon, l’Asie va disposer ainsi d’une troisième source de financements internationaux dont le principal actionnaire sera cette fois la Chine… On pourrait bien sûr ne voir ici qu’un signe supplémentaire de l’évolution de l’équilibre planétaire et de la place toujours plus centrale qu’y occupe la République populaire. A cette lecture politique doit toutefois aujourd’hui s’en ajouter une autre, plus économique : par cette initiative, la Chine tente, en créant de nouveaux canaux de financement, de desserrer la contrainte qui depuis la crise de 2008 pèse sur sa croissance et plus généralement sur la croissance mondiale. 

Pendant toute une partie des années 2000, la Chine avait réussi à exporter l’excédent d’épargne qu’elle tend à dégager en s’appuyant sur les canaux de financement des économies développées. Si, pour une part, l’épargne chinoise a alors financé un endettement du reste du monde – des ménages américains en particulier – l’essentiel des risques des prêts accordés était porté par les opérateurs du système financier occidental, ceux du système financier chinois – en l’occurrence la Banque centrale de Chine – se contentant d’assumer le seul risque de change. La crise de 2008 a mis brutalement un terme à ces transferts internationaux d’épargne et forcé les autorités chinoises à tenter, pour éviter une asphyxie de leur économie, d’absorber en Chine même une plus grande part de l’épargne qui s’y forme. D’où l’explosion du crédit domestique à laquelle on a alors assisté. Cette évolution a elle aussi trouvé assez rapidement ses limites : comme cela s’était passé quelques années plus tôt aux Etats-Unis, les prix immobiliers sont fortement montés et l’investissement en constructions nouvelles s’est rapidement avéré excessif. 

En prenant maintenant l’initiative d’une banque internationale d’investissement, les autorités chinoises s’engagent dans une autre voie : elles cherchent, en acceptant cette fois de prendre une bonne part des risques impliqués, à mettre au service du développement de l’Asie une partie au moins de l’épargne que l’économie mondiale continuera de dégager si des canaux de financement permettent de la mobiliser. Bien sûr, cette initiative, dans la mesure où les projets qui seront financés feront largement appel à des biens et des services chinois, viendra aussi soutenir la croissance de l’économie chinoise. Elle n’en constitue pas moins un exemple de ce qui aujourd’hui manque cruellement à l’économie mondiale : des organismes supranationaux capables, à un moment où les Etats nationaux y ont renoncé, de jouer le rôle d’emprunteur en dernier ressort – et d’investisseur de long terme – normalement dévolu à ces derniers. En remplaçant les Etats dans ces fonctions, ces institutions supranationales peuvent, si leur activité se développe rapidement, contribuer à écarter le risque d’une longue stagnation qui plane aujourd’hui sur l’économie mondiale. 

Le niveau extraordinairement bas des taux d’intérêt à long terme n’est en effet pas dû à la seule intervention des banques centrales : il reflète aussi l’absence de canaux de financement permettant de mettre le potentiel d’épargne dont l’économie mondiale dispose au service de projets d’investissements dont le retour, pour être lointain, n’en est pas moins relativement assuré. La Banque mondiale qui dispose d’une expertise inégalée en matière de développement d’infrastructures aussi bien matérielles que sociales aurait dû depuis plusieurs années déjà répondre à ce signal en augmentant la taille de ses opérations. Elle ne l’a pas fait. Au moment où l’Europe s’engage timidement dans la mise en œuvre du Plan Juncker, l’initiative chinoise attire opportunément l’attention sur les insuffisances du système financier international. Construire de nouveaux canaux de financement supranationaux, élargir aussi la capacité de ceux en place permettraient non seulement de stimuler une économie mondiale qui en a bien besoin, mais aussi d’en améliorer, à terme, les perspectives de développement.

Anton Brender

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