La pire des déflations, c’est celle de l’immobilier
Quand on entend ou lit que l’immobilier français est trop cher par rapport au revenu disponible des Français et devrait baisser de 20 % pour être accessible, c’est là une des pires erreurs d’analyse économique et politique qui soit. Pour éviter cette logique dramatique, il faut au contraire stabiliser les prix nominaux du logement en diminuant tout ce qui pèse indûment sur eux, directement et indirectement (normes notamment). Autrement, avec une spirale baissière des prix du logement, qui correspondent à des revenus et à des patrimoines, c’est une crise du secteur du logement qui se met en place. Elle va s’étendre, avec des milliers d’emplois à la clef et des perturbations profondes et durables sur les logiques de placement des ménages.
Si le prix de l’immobilier baisse, au-delà d’une moyenne qui ne veut rien dire, ceci implique qu’il s’effondre dans les campagnes et les villes petites et moyennes et fléchit dans les métropoles. Il va appauvrir et inquiéter les ménages les plus fragiles, ceux qui vont restreindre encore plus leur consommation. Il va propager une crise régionale de grande ampleur – avec les faillites de commerces et de PME qu’on imagine. Les grandes villes en seront moins, voire peu affectées, Paris et sa région vraisemblablement moins encore (où vivent 2/3 des cadres français). Les grandes entreprises, dont les salariés habitent en général dans des villes de plus grande taille, augmenteront peu ou pas les salaires, puisque le coût de la vie baissera. Ceci maintiendra les consommations locales et soutiendra surtout leurs profits ! La déflation immobilière est la pire de toutes, car c’est la plus différenciée, la plus inégalitaire et celle qui exerce les effets négatifs les plus durables.
Toutes les déflations sont des baisses généralisées et autoentretenues des prix. Généralisées, elles vont au-delà (par exemple) des baisses du prix de l’essence, du fait du pétrole, ou des communications, du fait des innovations technologiques. Autoentretenues, elles entrent dans les têtes des ménages et des entrepreneurs. Ils se disent que demain sera moins cher, donc qu’il faut attendre pour consommer ou investir. La baisse des prix a lieu parce qu’on pense qu’elle aura lieu. C’est le drame immédiat pour les biens de consommation, face à cet attentisme généralisé. Les prix baissent devant l’effondrement de la demande, pour la bonne raison que les entreprises vendent à tout prix, autrement dit à n’importe quel prix, dans une lutte pour ne pas disparaître - en tout cas pas avant les autres. La spirale prix-salaires se met en place. Elle fait baisser les prix des produits des entreprises, donc les prix mêmes des entreprises (leur valeur), entreprises qui ne peuvent plus payer leurs dettes. Les valeurs des banques chutent, et ainsi de suite. Pas d’autre solution, pour enrayer cette dynamique qui pousse à entasser des liquidités et à ne pas s’endetter, que de baisser les taux d’intérêt autant que possible, voire à taxer l’épargne pour baisser les taux des crédits et à faire baisser la monnaie pour importer de l’inflation. Taux zéro en interne et inflation importée, donc taux réel négatif : il n’en faut pas plus, normalement, pour désépargner, consommer et investir. Et donc sortir du piège, mais à quel prix !
La baisse des prix de l’immobilier est la pire de toute car il s’agit d’un bien d’usage, productif et d’assurance, les trois à la fois. C’est un bien d’usage d’abord pour qui l’occupe, ce qui permet de maintenir sa valeur. Un logement inoccupé se dégrade. Un taux élevé d’occupation des logements est la meilleure garantie de leur valorisation. C’est ensuite un bien productif de ressources quand il s’agit de le louer, souvent pour se constituer un capital, capital souvent cédé à la retraite. C’est enfin une assurance, si le ménage propriétaire doit céder son bien face à un «accident de la vie» (chômage, divorce, accident de santé) ou à la retraite qui pousse à acheter plus petit, bien souvent. L’actif immobilier est l’actif le plus durable du ménage. C’est donc celui qui structure son cycle de vie et qui donne une stabilité (donc une prévisibilité) à ses comportements. Ce sont cette stabilité et cette prévisibilité qui fondent la dynamique même de la croissance, du court au très long terme.
Dans la crise actuelle, la diminution des coûts indus qui pèsent sur le logement est la seule politique anti-déflation qui tienne, la seule base pour faire remonter la confiance.
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.
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