La zone euro devrait connaître une récession modérée cet hiver
En septembre, la BCE publiait ses dernières perspectives économiques et anticipait une croissance de 0,9 % sur l’ensemble de la zone euro en 2023. Une prévision qui paraît très optimiste (le consensus des analystes s’établit à 0 %), mais qui permet de justifier la poursuite du resserrement monétaire à un rythme soutenu. Pourtant, de nombreux éléments plaident en faveur d’un fort ralentissement et la récession paraît inéluctable.
Le premier élément est la forte dégradation du pouvoir d’achat que subissent les ménages européens depuis environ 1 an. Le salaire réel baisse depuis le début de l’année avec une inflation qui a atteint 10 % en septembre, quand les salaires ne progressent que de 4,5 % environ. Pour l’instant, la consommation a bien résisté car les ménages ont pu utiliser les larges réserves d’épargne accumulées pendant la crise. Mais cette source est tarissable. Le deuxième élément est la difficulté d’approvisionnement en gaz naturel et l’explosion des prix de l’énergie. La zone euro pourrait éviter le scenario extrême de rationnement cet hiver grâce au remplissage des stocks, mais les gouvernements ont demandé des efforts pour réduire la consommation d’énergie, ce qui impactera nécessairement la production industrielle et les chiffres de PIB. L’effet de l’explosion des prix risque d’être plus prononcé même s’il est aujourd’hui plus difficilement quantifiable. Le troisième élément est le resserrement monétaire intensif mis en place par la BCE, à l’instar de la Fed et toutes les autres grandes banques centrales. La BCE a déjà augmenté ses taux de 125 pb depuis l’été et la hausse devrait atteindre au moins 250 pb d’ici la fin de l’année. Cela se traduit par une violente remontée du coût de financement pour les Etats, les ménages et les entreprises, et affectera donc l’investissement public et privé dans la zone euro.
La récession paraît donc très proche en zone euro mais plusieurs facteurs permettent d’anticiper qu’elle restera mesurée. Tout d’abord, certains fondamentaux économiques sont encore très bons. Grâce aux mesures budgétaires et monétaires mises en place lors de la crise du Covid, les ménages et les entreprises présentent une bonne situation financière, rendant le scénario d’une crise financière majeure (comme en 2007-2008) peu probable. La solidité du marché de l’emploi devrait permettre d’amortir une partie du choc. Le taux de chômage est actuellement à son plus bas historique en zone euro et les salaires nominaux, bien qu’inférieurs à l’inflation, progressent rapidement.
Ensuite, les pouvoirs publics peuvent encore agir pour limiter le ralentissement. Les gouvernements ont notamment la possibilité de recourir à certaines mesures ciblées pour limiter la hausse des prix de l’énergie. Le bouclier tarifaire en France a permis à l’inflation d’y être presque deux fois moins importante que dans le reste de la zone euro (respectivement 5,6 % et 9,9 % en septembre). C’est en partie grâce à ce mécanisme que les perspectives pour la France apparaissent plus favorables que pour ses voisins, notamment l’Allemagne.
Du côté de la politique monétaire, la BCE, qui s’est montrée très prompte à augmenter ses taux, peut tout aussi rapidement modifier son discours pour diminuer la pression sur les coûts de financement. Dès que les marchés anticiperont qu’elle aura atteint le sommet de sa hausse des taux directeurs, voire qu’elle pourrait les abaisser un peu, les taux longs devraient s’ajuster à la baisse et la volatilité financière s’apaiser un peu. Avec des conditions financières plus favorables, entreprises et ménages seront plus disposés à envisager de nouvelles dépenses d’investissement.
Enfin, et surtout, cette récession devrait se traduire par une baisse généralisée des prix, résolvant ainsi le problème de la dégradation du pouvoir d’achat. Les tensions sur les prix de l’énergie devraient persister puisque l’approvisionnement en gaz russe ne sera pas rétabli avant longtemps et que l’OPEP ajuste sa production pour maintenir des prix pétroliers élevés. Mais sans nouveau choc inflationniste, les effets de base feront nettement ralentir l’inflation totale à partir de la fin du 1er trimestre 2023. L’inflation sous-jacente devrait aussi ralentir sous l’effet de la baisse de la demande. L’inflation totale devrait ainsi revenir au niveau des salaires vers le milieu de l’année prochaine et permettre à la croissance de se normaliser sur le second semestre. La récession devrait donc rester modérée (selon les pays, 2 ou 3 trimestres de baisse limitée du PIB), sous condition que l’économie européenne ne subisse pas de nouveau choc sur les prix et que les autorités monétaires et budgétaires fassent preuve de la réactivité nécessaire.