Le reporting intégré : le «oui mais» des directeurs financiers
Lors des débats parlementaires sur la loi Macron, un amendement a été adopté par l’Assemblée nationale qui vise à obliger les investisseurs institutionnels à mentionner dans leur rapport annuel certains éléments extra-financiers. Cet amendement s’inscrit dans la continuité du Grenelle II et de la récente directive européenne. Il concerne au premier chef les dirigeants financiers. Il vise à établir une communication qui intègre des données non financières dans la communication des entreprises.
Ce reporting intégré serait un outil de pilotage de l’entreprise dans une démarche d’intégration de l’ensemble des composantes, des problématiques et des parties prenantes de son activité (notamment ses impacts sociaux et environnementaux, l’ensemble de son écosystème, etc.). L’expression concrète de cette démarche est le rapport intégré, un outil de communication de l’entreprise auprès de ses investisseurs, de ses clients, de ses salariés et, plus globalement, de la collectivité, sur sa stratégie durable, «sustainable», selon l’expression anglo-saxonne.
Les dirigeants financiers que nous sommes sont concernés au premier chef par ce débat, qui a lieu actuellement et risque, si nous n’y sommes pas vigilants, de se faire sans nous, qui devrons pourtant en porter la responsabilité dans l’entreprise. Un cadre de référence international a été proposé par l’IIRC (International Integrated Reporting Council), un organisme qui s’appuie principalement sur des cabinets d’audit et de conseil. D’autres réflexions ont également lieu, soit dans les législations nationales (Afrique du Sud et Royaume-Uni, notamment), soit au niveau européen ou dans les organismes internationaux en charge de l’élaboration des normes (IASB, IFAC, GRI).
Si la communauté des directeurs financiers ne peut qu’être favorable à l’adoption d’un référentiel commun permettant aux entreprises de rendre plus lisible la valeur qu’elles créent, nous devons veiller à ce qu’il respecte un certain nombre de critères – faute de quoi il ne serait ni réaliste, ni applicable. A cet égard, les sept concepts clés proposés par l’IIRC dans son cadre de référence méritent d’être étudiés avec attention : la mesure de la création de valeur, le périmètre d’information, l’approche prospective, les risques et opportunités, le caractère sensible de certaines informations, la connectivité des informations, l’engagement des responsables de l’organe de gouvernance.
Au cœur de la notion de rapport intégré se trouve la question de la valeur. Certaines de ses composantes, non financières, sont particulièrement difficiles à quantifier. Il semble alors nécessaire de s’orienter, pour ces éléments, vers une approche narrative, et non vers des indicateurs chiffrés. Cela doit permettre aux parties prenantes d’apprécier la stratégie de l’entreprise à l’aune du «récit» qu’elle souhaite écrire. Dans cet esprit, nous devons rester humbles face aux interdépendances entre les indicateurs financiers et l’ensemble des autres facteurs (environnementaux et sociaux) qui font la richesse d’une entreprise : clarifier plutôt que complexifier, éviter la confusion en simplifiant la lecture. Ainsi, le périmètre d’information du rapport intégré ne doit pas comporter de nouvelles couches de données, mais constituer une grille de lecture mise à disposition pour rationaliser l’ensemble des informations données et clarifier la stratégie.
EXERGUE : L’entreprise est seule à même de définir l’information qu’elle peut délivrer sans courir un préjudice concurrentiel.
L’approche prospective, fondamentale dans la constitution du rapport intégré, pose également question. Tous les risques n’étant pas identifiables et quantifiables, cette approche comporte nécessairement une part d’aléa incompressible. Ajouter des réglementations à celles déjà en place n’aurait pas de sens : faisons davantage confiance aux entreprises et à leur responsabilité pour veiller, par elles-mêmes, à minimiser les risques. Dans un monde d’informations, la stratégie est la ressource la plus rare pour une société : en aucun cas le reporting intégré ne doit pousser l’entreprise à délivrer des informations sensibles pouvant bénéficier à la concurrence et, ainsi, nuire à sa position.
La démarche de reporting intégré ne peut être obligatoire, imposée, contrainte. Il appartient aux organes de gouvernance de l’entreprise de s’y engager, de s’en saisir pour fédérer autour du projet commun de l’entreprise, pour dire sa valeur d’une manière nouvelle et sous une forme adaptée à chaque entreprise.