Le risque grec… risque d’être français
Voilà des mois que les taux longs baissent dans le monde, notamment en zone euro, avec des rendements anormaux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le 10 ans Allemagne est à 0,3 %, France à 0,5, Espagne à 1,4 et Italie à 1,6, autant que… les Etats-Unis. Pendant ce temps, le rendement grec est repassé au-dessus de 10 %. Les quelques prêteurs privés à la Grèce vendent, certains prenant leur perte. Restent, par construction, les prêteurs publics de long et très long terme : BCE (26 milliards environ), FMI (35) et les autres membres de la zone euro (60 pour l’Allemagne, 55 pour la France…). Si la dette grecque n’est pas honorée, avant même que les comptables n’aient revu à la hausse la dette publique des états, les marchés financiers se demanderont comment se financera ce pays dans les semaines qui viennent. Qui paiera les fonctionnaires, les gendarmes, les soldats ? Donc les retraits bancaires vont se poursuivre, avec des alimentations de la Banque centrale européenne aux banques grecques qui devraient cesser – puisque la Grèce n’aura pas payé la BCE. On s’inquiète constamment des risques géopolitiques. Ils existent certes, mais commencent toujours par des problèmes bancaires.
C’est alors que les choses deviennent plus compliquées. Ce retour à la réalité que sera l’aggravation de la crise grecque ramène chacun face à son cas. Chacun va analyser ses efforts pour améliorer sa situation, autrement dit réduire son déficit public. On comprend le traitement de faveur réservé à l’Allemagne en termes nominaux, puisque le pays est en excédent budgétaire, mais aujourd’hui c’est à un taux réel positif qu’elle emprunte : 0,6 % – puisque l’inflation est négative (– 0,3 %) ! Et la France s’endette aujourd’hui à 0,4 % en termes réels (0,5 % en nominal et 0,1 % d’inflation sur la base du mois de décembre), donc moins cher ! C’est à n’y rien comprendre, sauf si les taux France doivent baisser encore, avec une déflation qui s’installe, donc des baisses plus importantes de l’euro, pour faire repartir l’économie européenne par l’exportation, en attendant que remonte l’inflation importée. La crise grecque est l’accélérateur de la guerre des changes sur fond de crise nationale, d’inquiétudes bancaires partout, de remontée des taux d’épargne.
La France doit se préoccuper davantage de son état. Sa situation budgétaire s’est détériorée en 2014, elle est en déficit primaire, ses mesures d’assainissement budgétaire semblent se ralentir, pour des raisons (et prétextes) géopolitiques et laisser place à de nouvelles taxes (immobilier) et réduction des prestations sociales (immobilier, familles nombreuses, retraités ayant eu une famille nombreuse). Dans ce contexte, la reprise prévue en 2015, puisque les taux sont bas comme l’euro et le pétrole, peut se dissoudre dans une stabilisation du revenu, couplée à une remontée généralisée de l’épargne.
Le pire n’est jamais certain. Les Grecs sont nés rusés et peuvent conclure un arrangement de dernière minute qui les aide au-delà de ce qui était prévu, en reportant la charge de l’ajustement sur les autres. Mais, en supposant cette issue favorable, on en voit les effets profonds dans le processus de reprise, dans l’obligation d’une politique monétaire européenne longtemps accommodante, dans celle d’une politique budgétaire encore plus concertée et d’une politique fiscale qui s’unifie.
La France doit pousser à l’harmonisation fiscale, avec l’Allemagne, à la surveillance des normes sociales et environnementales, avec tous. Mais, pour pousser, il faut peser. Et ce n’est pas possible si l’on est toujours en retard dans les ajustements et si l’on quête des délais. Certes la France est, au fond, la protectrice de l’Europe au Sud – sans que ceci soit pris en compte, sachant que l’Allemagne regarde à l’Est. La coopération militaire est, ici aussi, insuffisante, sans parler de l’efficacité des frontières ou du «renseignement».
On connaît les marchés financiers : ils passent d’un seul problème à un autre. Leur phrase «what’s next» résume bien cette logique de polarisation des questions sur une anomalie majeure, pour la «résoudre», avant de passer à celle qui suivra, sans d’ailleurs savoir laquelle, compte tenu des effets de la «solution» précédente. Dans ce contexte, la France n’est pas en première ligne, mais pas bien loin. Elle doit profiter des anomalies des marchés financiers pour changer plus vite et consolider le revirement de perception dont elle bénéficie depuis peu. Autrement…
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.
Du même auteur
Une politique monétaire par temps de guerres ?
En temps de guerre, les politiques monétaires doivent s’adapter. Regardons la Russie, Israël ou les…
2024, après 1968 et 1981 : quand les marchés prennent le pouvoir
Des dizaines de milliards (100 dans la foule d’estimations ?) pour le programme « de droite », qui…