Les marchés ont-ils raison d’anticiper un assouplissement de la BCE en fin d’année ?
Les récents rebonds de marchés, à l’automne 2022 et début 2023, ont été principalement alimentés par l’espoir d’une modération de l’inflation qui permettrait aux banques centrales de rapidement mettre un terme à leur resserrement monétaire.
En octobre 2022, c’était le ralentissement de l’inflation sous-jacente aux Etats-Unis qui catalysait le rebond, sur les deux premières semaines de 2023, c’était la forte baisse des prix du gaz naturel en Europe. Les marchés anticipent désormais que les taux directeurs atteindront un point haut au printemps 2023 (vers 5 % pour la Fed et 3,5 % pour la BCE) et baisseraient même sur la seconde moitié de l’année.
Ces attentes sont relativement éloignées du discours actuel des banques centrales. Si la Fed a déjà annoncé vouloir ralentir le rythme de hausse des taux, elle exclut pour l’instant toute baisse en 2023. La BCE se montre quant à elle encore plus stricte et estime que plusieurs hausses « conséquentes » de taux (donc au moins + 50pb à chaque réunion) seront nécessaires pour lutter efficacement contre l’inflation. Face à ce discours toujours très restrictif, notamment de la BCE, l’optimisme des marchés quant à un assouplissement dès le second semestre pourrait paraître déraisonnable.
Cependant, l’an passé a montré que les banques centrales pouvaient rapidement adapter leur politique (il y a moins d’un an, la Fed envisageait de porter ses taux à 2 % fin 2022 alors qu’ils ont atteint 4,25 %), un nouveau revirement n’est donc pas à exclure.
Au vu des dernières données, la BCE peut facilement justifier la nécessité de poursuivre le resserrement monétaire : certes l’inflation totale commence à ralentir, mais principalement grâce aux effets de base sur les prix de l’énergie. L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) quant à elle accélère encore. De plus, les indicateurs avancés suggèrent que le ralentissement économique reste pour l’instant assez mesuré et la BCE n’a donc pas d’urgence à relâcher sa politique.
Toutefois, dans les prochains mois, plusieurs éléments devraient l’inciter à se montrer plus prudente.
(1) Tout d’abord le ralentissement de l’inflation devrait se poursuivre, vraisemblablement à un rythme soutenu grâce aux effets de base sur l’énergie. Le ralentissement de la demande et la levée progressive des difficultés d’approvisionnement en gaz devraient permettre à l’inflation sous-jacente de suivre une tendance similaire, bien qu’à un rythme plus lent.
(2) De plus, la BCE peut s’appuyer sur des anticipations d’inflation qui restent bien ancrées (les swaps d’inflation 5 ans dans 5 ans se maintiennent vers 2,3 % depuis plusieurs mois) et une progression des salaires qui reste contenue (vers 4 %), éloignant le risque d’une spirale inflationniste.
(3) Le ralentissement économique, s’il reste pour l’instant modeste, est réel et devrait s’accentuer lors des deux premiers trimestres de l’année. La prévision de croissance de la BCE pour 2023 paraît optimiste (à 0,5 % en moyenne annuelle, quand le consensus Bloomberg envisage 0 %) et il y a donc de fortes chances qu’elle soit amenée à la réviser à la baisse en mars. Dans ces conditions, la BCE devrait vouloir minimiser le risque d’une erreur de politique monétaire qui viendrait amplifier, sans nécessité, le risque de récession.
(4) Enfin, certains membres de la BCE devraient être sensibles au risque d’une trop forte remontée des taux longs ou des écarts de rendement, alors que les besoins de financement des Etats devraient être en forte hausse cette année.
La BCE répète depuis plusieurs mois que l’évolution de sa politique monétaire sera dépendante des données : elle pourrait donc se montrer très réactive en cas de dégradation prononcée de l’activité économique et/ou de progrès notables sur l’inflation et ainsi donner raison aux marchés sur une inflexion de sa politique monétaire avant la fin de l’année.