Les temps forts de 2015
L’année 2015 ne sera pas sans défis avec des risques en embuscade, dont les dénouements plus ou moins heureux pourraient déboucher sporadiquement sur des épisodes d’instabilité financière, de quoi se faire peur, un sentiment qui fait désormais partie d’un environnement post-crise dénué de tout repère historique, plus incertain et donc plus menaçant.
2014 a vu la reprise s’installer, sur des tempos différents. Après un premier trimestre plombé par des conditions climatiques adverses, la croissance américaine a nettement accéléré en même temps qu’elle gagnait en autonomie, retrouvant au passage un rôle de locomotive mondiale. Le monde émergent a connu des fortunes diverses avec des niveaux de croissance toujours flatteurs un peu partout mais une Chine en proie à un ralentissement largement anticipé, tandis que les turbulences financières et les vicissitudes géopolitiques ont mis un sérieux coup de frein à l’activité au Brésil et en Russie. La reprise européenne a été laborieuse. Si la croissance s’est maintenue au-dessus de la ligne de flottaison, elle a perdu de l’allant en fin d’année, victime d’un environnement international moins porteur et toujours sous contrainte de désendettement.
Cette reprise à plusieurs vitesses s’est accompagnée d’un déphasage monétaire. La Réserve fédérale américaine (Fed) a mis un terme à sa phase d’assouplissement en octobre et a continué à préparer les marchés à une sortie de sa politique de taux zéro. La politique monétaire européenne a pris un chemin inverse vers plus d’assouplissement, avec des taux à zéro pour longtemps, un approvisionnement généreux des banques en liquidité (nouvelles LTRO), et une première esquisse de politique d’assouplissement quantitatif avec des achats fermes de créances privées titrisées et d’obligations sécurisées. Gardienne de la stabilité des prix à moyen terme, la Banque centrale européenne (BCE) s’inquiète d’une inflation trop faible, symptôme d’une croissance durablement anémiée. Ces trajectoires opposées ont modelé les évolutions de la parité euro-dollar, avec une dépréciation de la devise européenne guidée par l’élargissement anticipé du différentiel de rémunérations entre ces deux monnaies. La surprise est venue du prix du pétrole qui a lourdement chuté en deuxième partie d’année et ce de façon totalement fortuite. La faiblesse de la demande est un des éléments explicatifs mais pas seulement puisque l’offre s’est aussi révélée plus abondante qu’anticipé avec le développement de pétroles non conventionnels en Amérique du Nord et la reprise des exportations libyenne et irakienne.
Ces grandes tendances devraient se poursuivre en 2015, faisant écho au débat sur le risque de stagnation prolongée, en zone euro surtout, compte tenu des cicatrices profondes laissées par la crise mais aussi de la fin des dividendes démographiques et de l’épuisement tendanciel des gains de productivité (progrès technique plus incrémental et moins transformant). Une menace déflationniste plane en outre sur la zone euro lorsque les taux réels ne pouvant plus baisser, le poids des dettes s’alourdit mécaniquement, la solvabilité se dégrade et le coût de l’assainissement se renchérit inexorablement, alimentant une faiblesse chronique de l’activité et des prix. Face à ce risque, la BCE va devoir lever rapidement les obstacles techniques et politiques pour aller un cran plus loin dans la voie de l’assouplissement quantitatif à des fins reflationnistes. Le contraste n’en sera que plus saisissant face à une banque centrale américaine qui, accélération cyclique aidant, va s’engager dans la voie de la normalisation.
Côté pétrole, les clefs du marché se trouvent entre les mains de l’Arabie saoudite qui pour des raisons politiques (affaiblissement de l’Iran et de la Russie) et économiques (élimination de la concurrence dont le pétrole de schiste américain) ne montre aucun empressement à réduire sa production. Cette redistribution des cartes entre producteurs et consommateurs est plutôt une bonne nouvelle pour la croissance mondiale mais pas pour la stabilité géopolitique avec des pays producteurs, comme la Russie, fragilisés par cet environnement de pétrole bas. D’ailleurs, les questions politiques risquent de dominer l’actualité en 2015, les élections à suspense en Grèce ne sont que le début d’une série d’échéances électorales à enjeux, en Espagne et au Royaume-Uni, notamment, sur fond de montée des partis «anti-système», hostiles à la politique de Bruxelles.
Enfin, le cycle mondial se joue aussi en Chine où la combinaison difficilement soutenable d’une croissance ralentie et d’un endettement en hausse pourrait entraîner un atterrissage plus douloureux qu’anticipé avec des implications mondiales, vu le poids prépondérant du pays dans les échanges internationaux, et de matières premières en particulier.
L’année 2015 ne sera pas sans défis avec des risques en embuscade, dont les dénouements plus ou moins heureux pourraient déboucher sporadiquement sur des épisodes d’instabilité financière, de quoi se faire peur, un sentiment qui fait désormais partie d’un environnement post-crise dénué de tout repère historique, plus incertain et donc plus menaçant.
Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.
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