Pourquoi l’Europe a une dette envers la Grèce

Publié le 13 février 2015 à 9h34    Mis à jour le 13 février 2015 à 17h04

Anton Brender

Il n’aura fallu que quelques jours pour que le nouveau gouvernement grec se heurte à la dure réalité financière ! Tout n’avait pourtant pas mal commencé. Comment ne pas être impressionné par un ministre des Finances allant, col ouvert et sourire aux lèvres, chercher auprès de chacun de ses homologues européens un soutien dont il sait que tous se sont engagés à le lui refuser ? En annonçant ne plus prendre en gage, pour ses opérations ordinaires de refinancement, les titres publics grecs, la Banque centrale européenne a vite sonné la fin de ce «round d’observation». Dans la foulée, pour faire bon poids, l’agence de notation Standards and Poor’s a baissé encore d’un cran la note déjà très basse de la Grèce. Bon connaisseur de la théorie des jeux, Yanis Varoufakis avait peut-être anticipé ces coups. Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’aujourd’hui le bras de fer attendu entre Bruxelles et Athènes est bel et bien engagé. Pire même, le geste de la BCE signifie qu’une issue va devoir rapidement être trouvée. Si le recours des banques grecques à la facilité d’urgence de leur banque centrale – elle seule leur permet maintenant d’obtenir les liquidités supplémentaires dont elles pourraient avoir besoin – est limité à une soixantaine de milliards d’euros, comme on a pu le lire, les choses peuvent aller vite. La tension montant, ces banques pourraient voir leurs possibilités d’emprunt sur le marché monétaire se tarir en même temps que les retraits de leurs déposants risquent de s’accélérer. La position créancière de l’Allemagne dans le système Target ne vient-elle pas, pendant le seul mois de janvier, d’augmenter de 50 milliards d’euros, en reflet, pour une part au moins – le terrible professeur Sinn l’a déjà souligné – de ces euros qui fuient la Grèce ? La situation est d’autant plus critique qu’à l’intérieur du pays l’impôt rentre mal et que d’ici quelques semaines, l’Etat pourrait être dans l’incapacité de payer non seulement ses créanciers mais bien aussi ses fonctionnaires.

Les prochains jours diront si un compromis va effectivement être trouvé. La Grèce y a un intérêt évident : le retour à la drachme serait une aventure dramatique et nul ne peut dire comment une population déjà durement éprouvée la supportera. Pour ses partenaires européens les choses sont moins claires. Certains considèrent que les pays de l’euro sont désormais protégés du risque de contagion par l’ensemble des dispositifs mis en place depuis 2012. Et, pour beaucoup, céder aux demandes de la Grèce serait dissuader ceux qui ont fait les efforts requis de les poursuivre. Renégocier les engagements pris par la Grèce, comme le souhaiterait le gouvernement Tsipras, leur semble dès lors injustifié et dangereux. D’autant que l’économie grecque n’est pas «étouffée par le poids de l’endettement public» : la dette de l’Etat est lourde certes, mais son terme est très long et pour une grande part elle porte intérêts à des taux très faibles… Tous ces arguments méritent bien sûr discussion. S’y arrêter serait toutefois omettre l’essentiel : l’Europe a aujourd’hui une dette vis-à-vis de la Grèce. Certes, le pays n’a pas mené jusqu’au bout les réformes auxquelles il s’était engagé. Mais il en a fait suffisamment pour connaître la plus grave récession jamais vue dans un pays développé depuis la seconde guerre mondiale. Bien sûr, pour une part au moins, la faute en incombe à la faiblesse de l’appareil d’Etat grec. Mais cette faiblesse était connue de longue date et peu de choses ont été faites pour veiller à ce qu’il y soit remédié. Cinq ans après le début de la crise, le résultat est là. Certes, la Grèce a rééquilibré, provisoirement au moins, son budget comme ses comptes extérieurs, et les salaires sont retombés à leur niveau d’avant les Jeux olympiques. L’économie grecque est-elle plus compétitive pour autant ? On peut en douter. L’investissement en équipement des entreprises s’est en quelques années littéralement effondré – il n’est plus aujourd’hui qu’à peine le tiers de ce qu’il était en 2007 ! – et une partie de la main-d’œuvre qualifiée a quitté le pays… Dans cet échec, les gouvernements européens ont une part de responsabilité. Elle est suffisante pour justifier qu’ils donnent au gouvernement qui arrive la possibilité de montrer qu’il est capable de faire mieux que ceux qui se sont jusqu’ici succédé.

Anton Brender

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