
Reagan contre Trump
Alors que la réponse des marchés est sans ambiguïté, la réaction encore timide du Parti républicain aux actions protectionnistes de l’exécutif américain peut surprendre. Seuls quelques sénateurs ont mené une tentative bipartisane pour reprendre à la Maison Blanche certaines prérogatives en matière de commerce international (en vain pour l’instant). Les Républicains avaient une belle occasion de démontrer leur influence sur la présidence en retardant davantage les projets budgétaires de Donald Trump. Au contraire, ils ont réussi à mobiliser leur mince majorité à la Chambre pour faire avancer le processus dit de « réconciliation ».
La popularité personnelle de Donald Trump auprès des militants joue, mais il faut aussi noter l’émergence d’un nouveau narratif autour d’une répétition de la réussite de Ronald Reagan lors de son premier mandat. Au début des années 1980, les Reaganomics avaient été décriés comme allant à l’encontre des principes économiques dominants de l’époque (George Bush père les avait d’ailleurs qualifiés d’« économie vaudou »). Les Etats-Unis ont traversé une violente récession au début de la présidence de Ronald Reagan, qui s’est traduite par un renforcement de la majorité démocrate à la Chambre lors des élections de mi-mandat de 1982. Cependant, le « remède de cheval » se focalisant sur la politique de l’offre fut efficace. La reprise qui a suivi lui a permis de remporter confortablement un second mandat en 1984. Pour les Républicains d’aujourd’hui, le parallèle est séduisant : il s’agirait de « tenir bon » et d’embrasser la nouvelle approche économique et, comme au début des années 1980, la récompense viendra malgré les « turbulences » à court terme.
«Alors que les Reaganomics avaient été préparés avec soin, les économistes de l’administration actuelle sont loin du centre de gravité des débats académiques contemporains.»
Ce parallèle a toutefois ses limites. D’abord, les Reaganomics s’appuyaient sur les débats intenses dans le monde académique tout au long des années 1970, et les keynésiens étaient déjà en passe de perdre la bataille intellectuelle bien avant l’élection de Reagan. Milton Friedman avait reçu son prix Nobel en 1976, et il était une figure intellectuelle de premier plan. Les Reaganomics avaient été préparés avec soin. Les économistes de l’administration actuelle (comme Miran ou Navarro) sont loin du centre de gravité des débats académiques contemporains.
Lorsque Ronald Reagan est arrivé au pouvoir, il existait déjà un consensus fort dans les cercles de décision traditionnels selon lequel quelque chose de radical devait être fait pour sortir l’économie américaine de sa torpeur stagflationniste. Reagan a réussi à faire adopter ses projets budgétaires radicaux (dont d’importantes baisses d’impôts pour les plus riches) par le Congrès, sans majorité républicaine à la Chambre. Les Démocrates y détenaient encore une majorité de 51 sièges après les élections de novembre 1980, mais une part significative d’entre eux s’est rangée du côté des Républicains sur les questions économiques. Paul Volcker – déjà connu pour sa fermeté face à l’inflation – avait été nommé par Jimmy Carter, et c’est l’administration démocrate de la fin des années 1970 qui avait lancé les premières réformes de dérégulation.
La popularité de Reagan a chuté en 1982 lorsque la récession s’est installée, mais il ne l’a pas « provoquée » – le taux de chômage avait commencé à remonter dès l’automne 1980, avant son entrée en fonction. Un concept populaire à l’époque était l’« indice de misère », somme de l’inflation et du taux de chômage. Le pic de misère a été atteint en juin 1980, cinq mois avant l’élection de Reagan. Carter a perdu parce que la situation économique des Etats-Unis était objectivement mauvaise. Biden, lui, a perdu parce que la perception d’une économie américaine pourtant solide s’est dégradée, le souvenir du choc inflationniste post-Covid étant encore trop frais, éclipsant la vigueur du marché du travail. Les enquêtes de confiance des derniers mois marquent une rechute sévère après le rebond qui a suivi l’élection de novembre 2024. Nous entrons dans une nouvelle phase où la situation économique objective et les perceptions convergent – vers le bas.
Enfin, si les politiques de l’offre ont contribué à relancer l’économie, elles n’ont pas permis de rééquilibrer le budget fédéral. Le déficit en 1984 représentait deux fois celui de la dernière année de Carter en 1980. L’économie du « ruissellement », selon laquelle de fortes baisses d’impôts pour les plus riches se financeraient d’elles-mêmes grâce à une croissance accrue de l’assiette fiscale, ne s’est jamais matérialisée. Ce n’était pas un problème majeur à l’époque, étant donné le faible niveau de la dette fédérale américaine (41 % du PIB en 1984), et son impact sur le marché obligataire a été compensé par la baisse de l’inflation, qui a permis à la Fed de réduire les taux et de faire baisser les rendements à long terme. Un échec du « ruissellement » aujourd’hui aurait des conséquences bien plus lourdes sur la trajectoire de la dette publique. Nous soupçonnons d’ailleurs que la résilience « contre-intuitive » des taux longs américains depuis le « jour de libération » trouve en partie son origine dans cette équation budgétaire épineuse que les Etats-Unis doivent désormais résoudre.
Gilles Moec, chef économiste d’AXA et responsable de la recherche d’AXA IM
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