Réindustrialisation : comment sortir de la dépendance ?
Le sujet de la réindustrialisation, souvent assimilé à celui des relocalisations, fait écho aux interrogations quant à l’avenir de la mondialisation au moment où revient au cœur des débats la question de la souveraineté économique.
Le manque de masques de protection ou de médicaments, au plus fort de la crise sanitaire, a jeté une lumière crue sur la dépendance des économies aux fournisseurs étrangers, le plus souvent chinois, notamment pour des biens considérés comme essentiels. Par ailleurs, les perturbations des chaînes de valeur globales en phase de reprise, avec des ruptures d’approvisionnements de certains produits, comme les semi-conducteurs, ont fait prendre conscience des fragilités nées d’une extrême fragmentation des processus productifs et de leur mise en réseau à l’échelle mondiale, notamment en cas de défaillance d’un maillon critique. L’éclatement des chaînes de valeur s’est en outre accompagné d’une plus forte concentration de la production, certains produits n’étant plus fabriqués que par un petit nombre d’entreprises ou de pays, comme cela est le cas par exemple pour les principes actifs entrant dans la composition des médicaments, produits à 80 % en Asie.
La nécessaire reconquête de notre souveraineté économique, et surtout industrielle, a envahi le débat public avec, comme solution miracle, les relocalisations. Pourtant, une inversion de ce processus serait dommageable à la fois pour les consommateurs occidentaux qui profitent d’importants gains de pouvoir d’achat et de variété, mais aussi pour les pays émergents ou pauvres, là où les échanges internationaux riment avec développement économique.
La question des relocalisations peut néanmoins se poser en cas de dépendance à la production étrangère dans des secteurs stratégiques. Il n’est pas question ici de démondialisation, mais de subventions à des productions nationales vitales, choix fait par l’Etat à des fins d’indépendance stratégique. Il paraît en revanche illusoire de rapatrier l’ensemble des chaînes de valeur sur notre territoire. Ce serait totalement inefficace puisque synonyme d’augmentation des prix des biens de grande consommation, difficilement supportable pour les consommateurs à faible pouvoir d’achat. En revanche, il convient de trouver un nouvel équilibre entre l’objectif d’efficacité qui a présidé au développement des chaînes de valeur à l’échelle mondiale et un impératif de résilience pour prévenir les risques de rupture d’approvisionnement.
Une plus grande diversification des sources d’approvisionnement est le moyen le plus évident pour sortir de la dépendance économique et protéger les échanges en cas de défaillance d’un fournisseur. La production à flux tendus avec une optimisation des flux à chaque point de la chaîne logistique ayant montré ses limites pendant la crise, la voie de l’indépendance peut aussi passer par la constitution de stocks stratégiques, notamment pour les produits critiques. Lorsque le retard technologique accumulé est trop important pour qu’une production locale soit viable, la solution peut être d’encourager des investissements étrangers sur le sol français ou européen.
Par ailleurs, on l’a oublié, mais les perturbations mondiales liées à la guerre commerciale sino-américaine ont démontré combien les échanges peuvent être pris en otage de relations internationales compliquées, avec une menace de boycott, d’embargos ou de restrictions aux exportations. Cela pose la question du périmètre géographique avec une tendance à une plus grande régionalisation des échanges pour s’immuniser contre les désordres géopolitiques mondiaux, un argument en faveur d’un renforcement des chaînes de valeur à l’échelle européenne.
Enfin, la fragmentation des chaînes de valeur a un coût environnemental important, qui n’est pas internalisé par les entreprises, d’où l’appel à des relocalisations écologiques. Cependant, la taxe carbone aux frontières est un moyen aussi efficace d’intégrer le coût environnemental des échanges commerciaux sans qu’il soit nécessaire de produire localement.
Autrement dit, l’enjeu n’est pas nécessairement de relocaliser, mais plutôt de maintenir les filières existantes et de localiser les nouvelles activités sur notre sol. Il s’agit donc de renforcer l’attractivité de la France et de nos territoires, d’améliorer notre compétitivité, d’encourager notre potentiel d’innovation, mais aussi d’investir dans des secteurs d’avenir et dans les compétences pour que le mouvement de réindustrialisation irrigue notre économie et soit un vrai levier de croissance.
Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.
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