Vous avez dit : «banque systémique» ?

Publié le 12 décembre 2014 à 12h30    Mis à jour le 12 décembre 2014 à 17h01

Jean-Paul Betbèze

«Ma chère, vous êtes systémique mondiale», dit le docteur à la Banque qu’il osculte. «Je m’en doutais, répond-elle, mais selon quels critères ai-je été retenue ? Qu’est-ce qui m’attend ? Que faire ?»

«De fait, répond le docteur, vous êtes un Ebis, établissement bancaire d’importance systémique.» Votre situation va être connue de tous, avec vos consœurs, les autres banques systémiques. Vos noms seront partout, dont quatre en France (BNP, BPCE, Crédit Agricole, Société Générale) sur 28 au monde. Vous avez été repérées selon cinq critères jugés aussi importants l’un que l’autre : votre taille, vos interconnexions avec le système financier (les parts de vos actifs et passifs), votre «côté unique», en d’autres termes l’absence de substituts pour vos prestations de services (parts des actifs sous conservation, dans les paiements et les transactions), vos activités transfrontières (votre poids dans les activités internationales de l’échantillon), enfin votre «complexité» (part des dérivés de gré à gré et des actifs illiquides). «Bref vous voilà systémique mondiale, non par les risques encourus par vous mais par les autres, si vous défaillez.»

«Comprenez ce qui se passe, poursuit le docteur. Avec la crise passée, les dirigeants politiques et les peuples ont eu très peur. Ils ont juré de tout faire pour éviter le pire, plus exactement l’idée qu’ils se font du prochain pire : votre mort subite.»

«Mais c’est fou répond la Banque.» En Angleterre, la faillite d’une petite banque, Northern Rock, fait revenir à l’esprit des images des années 1920, avec ces déposants se ruant aux guichets, mais aucune grande n’a sauté. Aux Etats-Unis, les morts pédagogiques de Bear Sterns puis de Lehman montrent ce qui pourrait se passer et l’assureur AIG est sauvé. Aucune banque systémique n’a été atteinte. La crise a touché des banques plutôt petites, franchement risquées et pas bien surveillées.

«Je vais subir des traitements que je ne mérite pas», poursuit notre banque systémique mondiale qui s’énerve. «Eh oui, vous voilà too big to fail, trop grosses pour faire faillite, répond posément le docteur. Les Etats se sont engagés à vous soutenir, mais vous êtes devenues très grosses par rapport à eux, et eux plus impécunieux. Ils font une promesse difficile à tenir, à supposer qu’elle soit fondée. Donc on va vous surveiller de près.»

De fait, les régulateurs sont alarmés des banques systémiques. Ils mènent ensemble enquêtes et études internationales sur ce peloton d’élite, avec stress tests et revues d’actifs à l’appui, sans oublier plus de contraintes financières (surcharge en capital de 2,5 % en moyenne, plus de fonds propres et de liquidités), sans oublier de les taxer pour alimenter des fonds de garantie de l’union bancaire européenne et de les taxer tout court, pour cause de taille, cette taxe pouvant ne pas être déductible (point en débat). Cela sans oublier les obligations de transparence sur les produits vendus, les primes et salaires versés à certains salariés (les traders) plus à leurs dirigeants, sachant que leurs mandataires vont être de plus en plus exposés, plus que leurs administrateurs – indépendants ou non. A force, on va se demander qui va vouloir les gérer et les administrer !

De fait, le premier effet de cette avalanche est que leur rentabilité à moyen terme est en jeu, notamment en fonction de leurs activités internationales, activités pour lesquelles, chaque fois, on va leur demander des fonds propres et de la liquidité locale (les Etats-Unis ont commencé). Les Return on equity des banques d’affaires américaines à 30 % sont entrés dans l’Histoire. Nous voilà à 8 % - 10 %. Les actionnaires ont compris, les dirigeants bientôt, les traders c’est en cours.

«Mais docteur, dit la banque systémique mondiale, n’est-il pas vrai que la médecine (et l’économie) donnent une leçon permanente : la crise financière naît dans l’endroit insuffisamment ou mal régulé, mais un excès de régulation en fera naître une autre, sans qu’on puisse dire où.» Il ne s’agit pas d’accoutumance aux antibiotiques mais de mutation ou de camouflage. «Eh oui, répond le docteur, l’épidémie naît toujours dans les endroits fragiles, pas assez forts (capitalisés) et mal suivis (régulés). Le double risque actuel est que nous lui donnons des raisons de naître et surtout que nous affaiblissons les seuls endroits qui pourront lui résister : vous.» «Merci docteur…»

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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