Yellen et Draghi : out ?
Contre Janet Yellen, présidente de la Banque centrale américaine, Donald Trump déclare qu’elle «n’est pas Republican», ce qui est de notoriété publique. Bien que «très capable» dit-il, il faudra la remplacer en février 2018. Pourquoi ? «A cause du fait que je pense que ce serait approprié.» Raisonnement imparable. Nous ne sommes plus avec Barack Obama, qui renomme Ben Bernanke en 2010.
Ce n’est pas nouveau, mais c’est bien plus que de coutume. La Fed est habituée aux pressions des Républicains et des Démocrates. C’est toujours le cas en période de crise et d’élections, et nous sommes dans les deux. Mais jamais on n’a vu autant de propositions au Congrès, pour la faire changer. Première piste : «Audit the Fed». Si elle est suivie, des responsables du Congrès examineraient son fonctionnement et ses prises de décision, entre chaque réunion de politique monétaire. Il ne s’agit pas d’un audit comptable et financier, ni d’autres analyses, comme celles (légitimes) qui ont suivi les crédits d’urgence accordés au plus fort de la crise. Il s’agit d’un «audit politique». Chaque fois qu’elle peut, Janet Yellen, avec Ben Bernanke, critique cette démarche, mettant en avant les risques de pressions partisanes.
La dernière proposition d’audit a été faite par Rand Paul (Républicain). Elle a été battue par 53 votes contre 44, et soutenue par… Bernie Sanders et Marco Rubio, Ted Cruz n’ayant pas pris part au vote. Hillary Clinton soutient l’indépendance, mais quand même avec plus de surveillance. Dès le début de sa campagne, Donald Trump a jugé que la Fed faisait la politique d’Obama et alimentait une bulle obligataire. S’il est élu, avec un Congrès favorable, il devra quand même attendre pour remplacer Janet Yellen et Stanley Fischer (aussi en fin de mandat), mais moins longtemps pour les deux gouverneurs proposés par Barack Obama. Ils n’ont toujours pas été auditionnés : ce sont Allan Landon, depuis janvier 2015 et Kathryn Dominguez, depuis juillet 2015 ! Quatre postes à pourvoir sur deux ans : l’équilibre de la Fed est en jeu.
A côté de «Audit the Fed», la deuxième voie de changement de la Fed est de la remplacer par une équation (type équation de Taylor), combinant inflation et chômage. Ceci éviterait les discussions (et diminuerait les dépenses) ! Les responsables de la Fed critiquent évidemment cette approche, avec sa mécanicité, sa pauvreté, donc ses risques. De fait, les débats permanents, dans la Fed et autour, aident à glaner plus d’informations sur la situation économique et financière américaine, mais aussi à «sentir» les réactions à tel choix de politique monétaire, et à préparer les esprits. Dans ce monde si interconnecté et réactif, ces échanges et messages permettent de sentir, de prévenir – et de guider.
Contre Mario Draghi, voici Wolfgang Shäuble, ministre allemand des Finances. Il lui aurait imputé une part de la montée de l’extrême droite en Allemagne. Ceci sans compter les épargnants qui se plaignent des taux trop bas. Mario Draghi répond qu’il «obéit aux lois et pas aux politiciens». Pour remplir son mandat d’inflation à 2 %, «en zone euro et pas seulement en Allemagne», la BCE doit acheter des bons du Trésor. Et comme ceci ne suffit pas, parce que les réformes des politiques sont insuffisantes, elle achète des obligations privées. «Provocation», pensent nombre de politiques, qui pourraient s’interroger sur ce qu’ils font (ou ne font pas). «Horreur technique», disent des politiques allemands et la Buba, révulsés par tout risque de financement monétaire des Etats. «Horreur politique», disent les eurosceptiques. Mais derrière eux, ce n’est pas Mario qui est visé, mais Bruxelles et Francfort, ces lieux fédéraux (donc apatrides) où tout se déciderait.
Tout ceci est gravissime. En plus, la pression est forte, comme toujours, sur Haruhiko Kuroda, patron de la Banque centrale du Japon. Elle monte, comme jamais, contre Mark Carney, patron de la Banque d’Angleterre. Dans ce monde qui sort avec peine de crise, l’indépendance de la Fed et de la BCE fonde l’interdépendance des autres, donc une certaine coopération. Aujourd’hui, la pression vers la transparence doit porter sur la Banque de Chine, les BRICS, les autres émergents. Janet et Mario out, plus les autres, ce n’est pas politiser les banques centrales, car elles se soucient bien sûr «du politique», c’est les «politicardiser». C’est déclarer la guerre des monnaies – en attendant l’autre.