La féminisation des comités de direction des entreprises du SBF 120 progresse. Cependant, les fonctions opérationnelles et régaliennes telles que la direction financière restent largement aux mains des hommes. Malgré les efforts des entreprises en la matière, la parité est encore très loin d’être atteinte.
En 2024, les femmes représentaient 26,7 % des membres du comex du SBF 120, soit une progression de 2 % par rapport à 2021. Les entreprises françaises apparaissent aujourd’hui en bonne position pour répondre aux exigences de la loi Rixain qui impose 30 % de femmes dans les instances dirigeantes dès 2026 et 40 % d’ici 2030. En mars 2024, selon une étude menée par le cabinet Heidrick & Struggles, 47 % des entreprises du SBF 120 avaient atteint l’objectif intermédiaire de 30 % (contre 17 % en 2019). A la même période, 16 % d’entre elles étaient en avance et avaient atteint le seuil de 40 % de femmes membres du comité exécutif.
Directeur opérationnel vs. directrice fonctionnelle
Si la progression est globalement incontestable, il faut pousser l’analyse pour percevoir la réalité de l’évolution. L’étude réalisée par le cabinet Heidrick & Struggles révèle que le nombre de femmes occupant des fonctions opérationnelles augmenté, mais trop lentement, passant de 13 % à 17 % au cours des cinq dernières années. « Pour féminiser les comités de direction, la méthode utilisée par les grandes entreprises a été de faire monter des femmes sur des postes fonctionnels, tels que les ressources humaines, la RSE ou encore la communication », explique Hervé Borensztejn, associé et responsable des activités de conseil en leadership en France, Heidrick & Struggles. Les fonctions opérationnelles et régaliennes (directeur de business unit, directeur commercial et CFO), en revanche, sont restées aux mains des hommes. « Pour atteindre les 40 %, il va désormais falloir féminiser les postes opérationnels », souligne Hervé Borensztejn. Et la marche est encore loin d’être franchie : au rythme actuel, il faudrait plus de 25 ans pour atteindre l’objectif de 25 % de femmes sur les fonctions opérationnelles.
«Le board est très impliqué dans un recrutement de CFO et tend à vouloir limiter les risques, ce qui l’incite à des réflexes conservateurs en sélectionnant des profils qui cochent toutes les cases.»
Parmi les postes opérationnels largement trustés par les hommes se trouve le poste de directeur financier. « Il faut bien avoir à l’esprit que la fonction finance est une des voies qui permet d’accéder au poste de directeur général », explique Axel de Schietere, associé d’Heidrick & Struggles, spécialiste du recrutement CFO. Même si la situation progresse, les femmes sont donc encore largement sous-représentées. Au sein des entreprises du SBF 120, moins d’une vingtaine ont accédé à la fonction de CFO, malgré plusieurs nominations en 2023. Natalie Knight a été nommée vice présidente exécutive et directrice financière de Stellantis en juillet, après Stéphanie Besnier, à la tête de la direction financière d’OVH Cloud et Armelle Poulou chez Kering ainsi que Martine Gerow chez Accor. Elles ont rejoint Marie-José Donsion chez Arkema, , Léa Alzingre chez Soitec, Nathalie Senechault chez Atos... Il est possible de citer, en outre, Hilary Maxson, nommée directrice générale finances et membre du comité exécutif du groupe Schneider Electric en avril 2020. Mais, en 2024, les nominations se sont taries.
D’autres entreprises – qui mettent régulièrement en avant leurs très bons scores en matière de parité – ont un homme à la tête de la fonction finance. C’est le cas notamment du groupe L’Oréal, avec Christophe Babule, CFO du groupe depuis six ans.
Priorité à l’expérience
La parité sera difficile à atteindre, car les hommes restent surreprésentés dans les métiers de la finance. Si les promotions d’école de commerce sont quasiment paritaires, les femmes restent encore plus nombreuses à se diriger vers les fonctions marketing, tandis que les hommes choisissent la finance. Pour Axel de Schietere, l’un des bons indicateurs en la matière reste la composition des cabinets d’audit, véritable vivier pour les directions financières. « Une partie importante des recrues en direction financière sont des profils expérimentés en provenance des Big Four. Avec des senior managers et des partners majoritairement masculins dans ces structures, ce sont les profils que l’on retrouve ensuite en nombre au sein des entreprises. »
Et pourtant, la volonté des directions existe bel et bien… Les cabinets de conseil estiment que, même si les entreprises ne pratiquent pas de discrimination positive, 70 % des mandats de recherche concernent désormais en premier lieu des mandats féminins. Cependant, le vivier reste pauvre et la quête difficile. « Dans les missions de recherche de CFO, les entreprises recherchent des profils similaires, explique Axel de Schietere, c’est-à-dire des personnes ayant déjà occupé des fonctions de direction financière dans une entreprise de grande taille. Comme il y a très peu de femmes à ces postes, c’est le serpent qui se mord la queue ». Pour féminiser, il faut donc être à même de prendre des risques, par exemple, en faisant monter en hiérarchie une femme n-1. « Le board est très impliqué dans un recrutement de CFO et tend à vouloir limiter les risques, ce qui l’incite à des réflexes conservateurs en sélectionnant des profils qui cochent toutes les cases », poursuit Axel de Schietere. Risqué, car le pilotage des finances en cas de crise majeure repose avant tout sur une expérience empirique. Dans le contexte actuel, les entreprises ne prennent aucun risque et l’arrivée d’un CFO chevronné, ayant traversé des crises financières, est un gage de réassurance.
Une approche double
Pour parvenir davantage de femmes CFO, les spécialistes des ressources humaines préconisent d’agir dans toutes les strates de l’entreprise. « Pour assurer la relève, il faut prévoir un pool de deux à trois personnes et les préparer à embrasser la fonction de directeur financier », explique un membre du comex d’une des entreprises du SBF 120, qui ajoute que « cela suppose de mettre en place des plans d’évolution et des plans de succession et cela requiert du temps. Il faut donc faire l’effort de recruter en n-1, n-2 et n-3 à parfaite parité ». Des sujets qui s’anticipent. L’étude réalisée par Heidrick & Struggles constate que cette anticipation est davantage à l’œuvre au sein des entreprises dirigées par des femmes. Treize entreprises du SBF 120 ont une femme à leur tête et parmi elles, les trois quarts ont déjà atteint l’objectif de 30 % fixé par la loi Rixain.
A l’heure où la France et l’Europe sont en proie à une vraie incertitude quant à l’évolution des droits de douane et à la stabilité des accords commerciaux internationaux, les entreprises recherchent des profils chevronnés, avec une solide expérience en gestion de trésorerie et en communication financière. « Les entreprises ayant aujourd’hui la volonté de féminiser la fonction, il y a un mouvement de marché important en faveur des candidates potentielles », conclut Axel de Schietere. A la condition, néanmoins, qu’elles cochent toutes les cases.
Un sujet de performance
La présence de femmes aux comités de direction n’est pas sans incidence sur la performance des entreprises. Publiée en février 2025, une étude de Skema Business School sur l’impact de la mixité dans les entreprises du CAC 40 révèle que les entreprises avec une féminisation plus élevée affichent une rentabilité opérationnelle moyenne de 22,80 %, contre 10,99 % pour celles qui comptent peu de femmes au sein de leurs fonctions cadres. Ces entreprises sont également perçues comme des investissements moins risqués sur les marchés financiers.