Est-ce le rôle de la Bourse de financer l’économie ?
La Bourse est un grand marché secondaire où s’échangent les actions cotées. Mais est-elle aussi un lieu où, de façon agrégée, les entreprises reçoivent du financement de la part du reste de l’économie ? Pour répondre à cela, il faut regarder les fonds qui entrent via la Bourse dans les bilans des entreprises – augmentations de capital et IPO –, ceux qui sortent – dividendes et rachats d’actions, y compris lors des OPA payées en cash – et faire la différence. Surprise ! En général, cette différence est négative : le cash qui sort est plus important que le cash qui rentre – particulièrement dans la conjoncture présente, où l’investissement est faible et les rachats d’actions importants.
Ce constat ne manque pas de nourrir le procès contre une «finance prédatrice» où l’économie réelle serait constamment parasitée par une finance qui est décidément «mon seul ennemi».
Or, ce cas, loin d’être une aberration, est la situation fréquente d’une économie en croissance. Aidons-nous pour le montrer d’un raisonnement simple sur une entreprise qui connaît une croissance tendancielle à 3 % l’an (inflation comprise), un financement intégralement par fonds propres et un taux de rendement de son capital de 5 %.
Le stock de capital de cette entreprise croît donc au rythme de 3 %, de même que les capitaux mobilisés pour financer ce capital. Les actionnaires disposent d’un rendement de 5 %, mais, pour les besoins de la croissance, il leur faut réinvestir 3 % de ce rendement dans l’entreprise. Ils le font soit en y laissant des fonds (l’autofinancement, que la langue anglaise appelle efficacement «retained earnings»), soit par augmentation de capital après perception de leur dividende. Qu’importe la façon dont le cash est véhiculé, les investisseurs reçoivent chaque année, en net, un flux de trésorerie de 2 % du stock de capital.
La croissance de l’entreprise est donc parfaitement compatible avec un cash-flow positif pour l’investisseur. La situation se produit dès que r, le taux de rendement du capital, est supérieur à g, le taux de croissance.
Ce qui vaut pour cette entreprise vaut à l’échelle de l’économie. Voyons-le dans le cas des Etats-Unis. L’économiste Ibbotson a mesuré sur très longue période, entre 1872 et 2000, le rendement moyen pondéré du capital (net de dépréciation). Il s’établit sur la période à 5,6 % (3,2 % pour le taux d’intérêt sans risque et 6,8 % pour le rendement des actions, la dette représentant 1/3 du bilan). De même, la croissance hors inflation s’établit à 2,6 % et le taux d’inflation à 2,2 %, soit une croissance nominale à 4,8 %.
On constate donc que r = 5,6 % quand g = 4,8 %. L’économie américaine a fonctionné en moyenne sur la période à cash-flow négatif pour les entreprises et positif pour les investisseurs. Ce n’est pas forcément la situation de croissance optimale (pour les économistes depuis Frank Ramsey, ce qu’on appelle la règle d’or est atteinte si r = g), mais cela assure une croissance équilibrée à l’économie, l’argent du «surplus» r – g allant à la consommation.
En va-t-il autrement si le financement de l’entreprise – ou de l’économie – se fait par dette ou par fonds propres ? Nullement, bien qu’il faille relever une différence du point de vue de la trésorerie : le prêteur récupère toujours son argent (hors défaut), c’est-à-dire l’intégralité de son intérêt annuel et l’intégralité de son capital au terme du contrat. L’actionnaire, quant à lui, «laisse» une partie du profit dans l’entreprise et n’a pas de droit contractuel à récupérer son capital. Le financement par fonds propres est donc souvent caché par le fait qu’il transite rarement par la poche des actionnaires.
Quand l’actionnaire veut récupérer ses fonds, il vend son action. D’où le fait que la fonction principale de la Bourse est d’être un marché secondaire et non primaire. Elle assure la liquidité. Elle joue aussi un rôle de gouvernance – dont il est légitime de discuter la qualité – de par le poids politique que les actionnaires ont en principe sur les dirigeants de l’entreprise. Et, bien sûr, elle sait normalement financer les entreprises en forte croissance, celles pour qui r < g.
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
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