Sur le projet fiscal du Parti républicain

Publié le 17 novembre 2017 à 18h09

François Meunier

Le point majeur du projet Trump est sans conteste la baisse de 35 % à 20 % du taux de l’IS. C’est une baisse très agressive, qui va pousser les autres pays dans cette ruée au moins-disant fiscal. Le taux cible du gouvernement français, de 25 % au terme de la législature, fait déjà petit bras. Certains s’en réjouiront, au prétexte que l’IS est un mauvais impôt (une vision discutable). Mais déjà ces deux commentaires :

Le premier pour constater que ce reflux général des taux d’IS se cumule à une tendance à la baisse de la fiscalité des valeurs mobilières, en tout cas des revenus des actions. (Pour les revenus de la dette, il faut le noter, la tendance est au contraire à un accroissement, puisque les frais financiers seront dans le futur de moins en moins déductibles du revenu imposable des sociétés). On assiste donc à un transfert assez massif de valeur ajoutée vers les actionnaires.

Cela ne dure qu’un temps, on le sait. En situation de concurrence, les gains acquis au niveau de l’entreprise sont rétrocédés progressivement aux clients via des baisses de prix et aussi – oui aussi ! – aux salariés sous forme de salaires plus élevés. Mais tout cela prend du temps et suppose un contexte de forte concurrence, ce qui reste sujet à caution dans beaucoup de secteurs économiques (comme on le voit avec les rentes que les grands de la tech sont en train de bâtir à l’échelle planétaire). Dans l’intervalle, la Bourse monte et monte encore.

Second commentaire, un grand pays, en premier lieu les Etats-Unis, n’a jamais intérêt à mener le bal dans cette course vers le bas. Un petit pays oui, puisque chez lui l’apport de substance fiscale l’emporte sur la baisse de revenu liée à la baisse de taux. Dans un grand pays, le poids des flux économiques «intérieurs» est tel que l’effet de baisse des taux l’emporte. C’est bien le problème politique que va rencontrer le projet de loi devant le Congrès américain : la baisse de taux va creuser énormément le déficit budgétaire – on parle de 1,5 Tr$ sur les 10 ans à venir –, sans stimuler l’économie qui tourne déjà à bon rythme.

Une clause protectionniste ?

S’est glissé subrepticement dans le projet de loi un article mettant en place une surtaxe de 20 % sur toutes les importations aux Etats-Unis dans le cadre de transferts intragroupe. Par exemple, L’Oréal, qui fait ses shampooings en France, ne pourra les faire vendre par sa filiale américaine qu’en acquittant une surcharge de 20 %. Ce n’est pas vrai pour les achats extragroupe : Apple qui fait fabriquer ses téléphones par Foxconn en Chine pourra les importer libres de droits. Cela fait bien sûr hurler les groupes étrangers, à raison : il s’agit purement et simplement d’une taxe protectionniste qui, si elle n’est pas retoquée par l’OMC, risque d’entraîner des rétorsions ailleurs. Les groupes américains sont moins menacés parce que moins intégrés verticalement (sauf l’industrie automobile au Mexique). On a le risque de voir se démanteler certaines chaînes de valeur dans la production internationale, les groupes optant pour une intégration industrielle horizontale plutôt que verticale.

Cet article «scélérat» n’est pas introduit par hasard. Il résulte du second changement le plus important de ce projet de loi : le passage d’un impôt universel (toute personne physique ou morale reste soumise à impôt aux Etats-Unis, quel que soit son pays de résidence) à un impôt territorial (on est taxé dans son pays de résidence et non de nationalité). Avec la règle universelle, Apple se libère des impôts sur ses revenus européens en Irlande, mais reste redevable du complément à 35 % aux États-Unis.

Cette règle, que seuls les Etats-Unis pratiquaient, avait un inconvénient connu : une incitation à ne pas rapatrier les profits captés à l’étranger, d’où les montagnes de cash au bilan des grands groupes américains. Mais aussi un avantage sur lequel Trump aurait dû ouvrir les yeux : il n’était jamais trop intéressant de s’implanter à l’étranger puisqu’il y avait double peine en matière d’impôt. Cela explique que les groupes américains adoptent volontiers le principe de sous-traitance dans leur organisation industrielle. Le discours trumpien se tire donc une balle dans le pied. D’autres ont ouvert les yeux ; d’où la surtaxe.

On rapproche à tort cette surtaxe du projet de «neutralité aux frontières» abandonné au cours de l’été, à savoir la taxation des flux économiques avec l’étranger à destination et non à la production, sur le modèle de la TVA. Ce projet n’était pas, ou moins, un impôt protectionniste. La surtaxe de 20 % l’est violemment.

François Meunier responsable ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG

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