Lorsqu’un directeur financier fait face à la reprise sous LBO de l’entreprise dans laquelle il travaille, le risque qu’il soit remplacé est important. Pour être maintenu à son poste, il doit démontrer au nouvel actionnaire ses capacités managériales et de gestion, notamment en ce qui concerne le pilotage du cash. Mais s’il y parvient, des opportunités de carrière s’ouvrent ensuite à lui.
Un directeur financier d’une entreprise rachetée sous LBO est sur un siège éjectable. Les fonds qui prennent le contrôle de la société choisissent en effet très souvent de changer la tête de la direction financière. «Tous les ans en Europe, nous recrutons une cinquantaine de directeurs financiers pour des entreprises qui viennent d’être reprises sous LBO, témoigne Benoît Martel, responsable au sein de Skillcapital, cabinet de conseil pour les fonds de private equity. Même si le directeur financier est particulièrement important dans une entreprise sous LBO, il est sans doute plus facilement remplaçable aux yeux des fonds que le dirigeant, ce dernier portant l’historique et la vision de l’entreprise.»Ce cas est particulièrement vrai pour les entreprises rachetées pour la première fois via cette forme d’opération à effet de levier. Dans un LBO primaire sur deux en France, le directeur financier cède sa place à un confrère ayant déjà fait ses preuves par ailleurs. En revanche, pour les LBO secondaires, tertiaires ou encore quaternaires, le directeur financier a souvent déjà été confronté à ce type d’opération et en connaît les spécificités. «Aujourd’hui, un LBO est plus un sujet de transformation de l’entreprise que de simple négociation des prix d’achat ou de montage financier comme cela a pu l’être avant 2008, explique Blaise Duault, responsable de la compliance et des affaires publiques du fonds PAI Partners. Le changement d’équipe n’est alors pas une fin en soi, mais nous avons besoin d’hommes et de femmes capables de mener à bien notre stratégie.»
Une opération de séduction au moment du rachat
Tout l’enjeu pour le directeur financier de l’entreprise rachetée est alors de convaincre le fonds de private equity qu’il est l’homme de la situation. Et il a peu de temps pour le faire. C’est au moment des due diligences, soit lors des premières rencontres avec le nouvel actionnaire, que le directeur financier doit rassurer sur ses compétences. Il doit non seulement savoir manier les chiffres, mais aussi avoir l’envergure d’un dirigeant. «En plus de compétences de gestion classiques, le directeur financier que nous cherchons doit être l’instigateur du changement en interne, en particulier pour instaurer efficacement une culture “cash”, détaille Régis Rivière, manager director chez Alvarez & Marsal. Il doit être capable de présenter une vision synthétique de l’entreprise aux banquiers et aux investisseurs.»
A ce moment-là, le fonds juge non seulement de la capacité d’adaptation du directeur financier, mais aussi de sa façon d’interagir avec eux.
«Nous regardons avant tout la faculté du directeur financier à identifier les enjeux de l’entreprise et à sa capacité à les expliquer de manière pédagogique,précise Jean Eichenlaub, président de Qualium Investissement, filiale de la Caisse des dépôts (CDC).Par exemple, comprendre la structure de la génération de cash et savoir la présenter en quelques minutes est primordial.» Les fonds cherchent également à vérifier l’esprit critique du directeur financier. «Clairement, on cherche un directeur financier de combat, capable de mettre au défi les conseils, les opérationnels ou même le directeur général et, si nécessaire, d’avertir le fonds en cas de dérapage», confirme Tarek Hosni, responsable du bureau Alvarez & Marsal France. Il doit savoir prendre en compte les intérêts de l’actionnaire afin de tirer la sonnette d’alarme le plus vite possible en cas de contretemps ou de contre-performance pour redresser la situation.
Conscients des efforts à fournir dans le cas d’un LBO et pour aligner leurs intérêts avec ceux du manager financier, les actionnaires de la société mettent alors en place une rémunération adaptée. L’outil classique fréquemment utilisé dans les LBO consiste à instaurer un management package. Ce système de rémunération nécessite néanmoins un investissement financier important.«Participer à une opération de LBO, même pour un DAF, demande de savoir prendre des risques y compris sur le plan patrimonial», précise Tarek Hosni. Généralement, la participation du directeur financier dans un management package est supérieure à ses revenus, bonus compris, sur un an. Elle peut atteindre l’équivalent de deux ans de rémunération brute. Malgré ces pratiques de place, les fonds acceptent de faire du cas par cas, afin que la pression ne soit pas excessive et même contre-productive sur les épaules de leurs dirigeants. «Dernièrement, nous avons conservé un directeur financier à son poste même s’il ne pouvait investir qu’un maximum de 50 000 euros, témoigne Jean Eichenlaub. Cette somme était déjà importante pour ce trentenaire, jeune papa et propriétaire de son appartement depuis peu. Cela nous a satisfaits car cela démontrait son engagement !»
Un choix de carrière risqué mais payant
Au-delà de l’aspect financier, le directeur financier qui souhaite rester en poste à l’occasion d’un rachat sous LBO doit être proactif. «Celui qui nous demande ce que nous attendons de lui, avant même de faire une proposition, nous envoie un mauvais signal car nous attendons de l’initiative», résume Jean Eichenlaub. L’implication du directeur financier ne doit en effet pas se cantonner au seul plan financier. «Le management package est attractif, certes, mais ce ne doit pas être la première motivation d’un candidat, rappelle Jacques-Louis Soubirous, associé fondateur chez Fitch Bennett Partners. La motivation principale doit être le challenge.» Un terme revient alors souvent pour qualifier le directeur financier : ce n’est plus le numéro 2 de l’entreprise, mais le numéro 1bis. Pour marquer cette tendance, la plupart d’entre eux sont nommés directeurs généraux adjoints en charge des finances.
«D’ailleurs, il est courant qu’un directeur financier de LBO devienne directeur général à l’occasion d’un LBO secondaire ou tertiaire», ajoute Marie Clark, associée spécialisée en recrutement sur les métiers de la BFI chez Vendôme Associés. Porteuse d’opportunité, cette expérience demeure toutefois risquée. Rien n’est jamais gagné. Certes, le fauteuil de directeur financier d’une entreprise sous LBO peut mener loin, mais il n’en demeure pas moins, comme au moment du rachat, éjectable. La difficulté du métier est là : un directeur général est responsable d’un succès ; tandis qu’en cas d’échec, c’est le directeur financier qui sert immédiatement de fusible.
En outre, à mesure que le projet du fonds évolue, notamment en y intégrant des objectifs de croissance externe ou d’introduction en bourse afin d’anticiper leur sortie au capital dans de bonnes conditions, le recrutement d’un nouveau candidat peut être envisagé. «Même quand l’opération se passe bien, nous observons que le fonds cherche parfois à changer la tête de la direction financière dans les premières années, à la suite du changement de stratégie initiée lors du LBO, note Julien Wagmann, associé private equity du cabinet d’avocats August & Debouzy, qui peut être alors appelé pour remanier le management package. Cette configuration représente un tiers environ des opérations que nous voyons.» Mais même en cas de débarquement, un directeur financier qui a fait ses preuves n’a pas à s’inquiéter. Les fonds sont tellement à la recherche de bons candidats pour leur montage de LBO que le directeur financier aura alors le choix de nouvelles opportunités.
Une réputation vérifiée en amont par les fonds
Pour vérifier les compétences du directeur financier en place, de plus en plus de fonds d’investissement qui reprennent l’entreprise via une opération de LBO n’hésitent plus à lancer en amont des études de réputation. Ces enquêtes commandées en externe visent à étudier le passé de l’équipe dirigeante, notamment du directeur financier, tant sur Internet qu’auprès d’anciens managers et collègues. Ces données permettent ainsi au nouvel actionnaire de décider rapidement s’ils conservent ou non la personne en place.
Carve-out, monter en puissance sur la gestion du cash
- Lorsque la filiale d’un grand groupe est reprise dans le cadre d’un LBO (ou carve-out), le directeur financier de cette dernière doit gagner en autonomie pour conserver son poste. Il ne peut en effet plus compter sur la maison mère pour l’aider et devra prendre en charge de nouvelles tâches. «Un directeur financier d’une filiale ne traite pas directement avec les banques ou les investisseurs, il effectue souvent son reporting dans un ERP très structuré et déjà paramétré et il ne gère que très rarement les questions de cash dans le cadre de cash pooling», énumère Eric Scoffier, directeur financier et manager de transition depuis plus de dix ans.
- Pour autant, rien n’est joué. «Désormais, lors d’un carve-out, nous n’avons plus forcément besoin de recruter de directeurs financiers, précise Jean Eichenlaub, président de Qualium Investissement. Grâce à leur formation souvent de très bon niveau, ces derniers s’emparent en seulement quelques semaines de problématiques comme le reporting aux banques, les calculs de covenants, etc.» Cependant, tous les fonds n’attendent pas forcément que le directeur financier monte en compétence et préfèrent parfois recruter un professionnel directement opérationnel.
Entreprise familiale, convaincre de sa modernité financière
- Dans les PME familiales, la finance est parfois encore artisanale et centrée sur des problématiques de gestion de patrimoine. «Pour conserver son poste à l’occasion d’un rachat sous LBO, le directeur financier devra démontrer non seulement qu’il a été capable de mettre en place de bonnes pratiques en termes de reporting, de mise en place des indicateurs clés et de gestion du cash, mais aussi qu’il a pu participer à des projets transversaux», précise Benoît Martel, associé chez Skillcapital.
- Si le directeur financier arrive à faire cette démonstration, les fonds sont alors souvent capables de mettre à disposition de ce dernier un soutien par le biais d’un manager de transition qui l’accompagnera pendant quelques mois. «Cela permet à la fois d’instaurer le changement mais aussi d’épauler le directeur financier, le temps qu’il monte en compétences», note Karina Sebti, associée division Robert Walters Solution. Parfois, un trio est aussi envisagé à la tête de l’entreprise, avec un directeur général, un directeur général adjoint en charge des relations financières avec les banques et des opérations d’acquisition et un directeur financier en charge des opérations quotidiennes.