Directions financières

«DAF» à temps partagé, une nouvelle façon de travailler

Publié le 26 mai 2017 à 17h41

Nathalie Halpern

Un nombre croissant de directeurs financiers décide de travailler à temps partagé, c’est-à-dire pour plusieurs entreprises. Si ce statut permet de jouir d’une plus grande liberté et de réaliser des missions très diversifiées, il implique une rémunération plus aléatoire et un plus grand investissement dans la prospection commerciale.

De plus en plus de directeurs financiers sont tentés par le travail à temps partagé. Ces DAF décident de travailler pour plusieurs PME, souvent à la suite d’un accident de parcours. Le déclic peut intervenir après un licenciement. «J’ai été salariée pendant quinze ans au sein des services financiers de grandes sociétés de logiciels, témoigne Morgane Rollando, directrice financière. Puis j’ai découvert, à mon retour de congé maternité, que mon poste allait disparaître. En 2009, j’ai alors eu envie de travailler à mon compte, et pour de plus petites structures.» Elle décide de proposer ses services à plusieurs start-ups. Pour cela, elle crée fin 2010 sa société, Synerfia, spécialisée dans les services de direction financière à temps partagé.

Plus rarement, d’autres professionnels choisissent cette voie en quittant d’eux-mêmes leur activité salariée. «Après avoir été directeur financier dans une grande entreprise, puis dans une PME, j’ai décidé de me mettre à mon compte en 2009, à 45 ans, car j’aspirais à autre chose», indique Guy Degeorges, directeur financier à temps partagé, et responsable du groupe de travail «DAF à temps partagé» de l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG). Et comme eux, ils seraient environ 500 à avoir choisi cette voie en France, d’après le dernier comptage du groupe de travail. «Leur nombre ne cesse d’augmenter, d’autant que nous constatons l’arrivée de professionnels plus jeunes, âgés d’une quarantaine d’années, constate Guy Degeorges. Cette nouvelle façon de travailler va continuer à se développer, d’où notre volonté de créer d’ici à l’été un label pour garantir une certaine qualité à cette profession en forte croissance» (voir encadré).

Un marché en croissance

La progression de ce métier s’explique par une demande exacerbée des entreprises, en particulier des TPE-PME. «Ces dernières n’ont pas encore de structure financière mais ont besoin d’un directeur financier, sans pour autant avoir les moyens d’en recruter un à plein temps», explique Xavier de Saint-Marc, directeur financier à temps partagé. Il peut s’agir de start-ups en croissance, en recherche de financement, ou de petites et moyennes entreprises qui emploient jusqu’à une centaine de personnes.«Pour ces PME, faire appel à un DAF expérimenté qui les accompagne un à trois jours par semaine, voire quatre jours, dans le cadre d’un contrat de prestation de services, est la solution idéale, estime Xavier de Saint-Marc. Nous les suivons en général pendant un an en attendant qu’elles acquièrent au bout d’un moment la taille suffisante pour embaucher leur propre directeur financier, en interne.»

Ces petites et moyennes sociétés recherchent ainsi des directeurs financiers expérimentés qui ont généralement quinze à vingt ans d’expérience. Les missions du DAF à temps partagé sont en effet très diverses : elles vont de la mise en place d’un budget ou d’un «reporting» à l’élaboration d’un dossier de financement pour lever de l’argent auprès de fonds ou de banques, en passant par la mise en œuvre d’une acquisition. C’est un métier de généraliste. «Il faut être tout de suite opérationnel et capable de tout faire : être à la fois financier, DRH et stratège. Il faut aussi savoir transmettre ses compétences, d’où la nécessité d’avoir de l’expérience», souligne Xavier de Saint-Marc, qui a créé en 2012 sa société de DAF à temps partagé, DSM gestion, après avoir travaillé 20 ans en entreprise.

Un travail très varié

Outre la diversité des missions à suivre, un directeur financier à temps partagé bénéficie d’autres avantages. «Aujourd’hui, je fais un travail très intéressant et gratifiant, tout en disposant d’une très grande liberté d’action», se félicite Xavier de Saint-Marc. Etre DAF à temps partagé est souvent jugé valorisant intellectuellement.«J’apprends beaucoup tous les jours, et je ne m’ennuie jamais, témoigne Guy Degeorges. Pour rien au monde je ne redeviendrais salarié.» Le fait d’être indépendant est souvent considéré comme l’un des grands avantages de cette façon de travailler.

Une prise de risques

Cependant, cette liberté comporte aussi une part de risques. Le directeur financier à temps partagé est payé sous forme d’honoraires, à la journée, qui est généralement facturée entre 800 euros et 1 200 euros. «Tout dépend du type de mission, de son urgence, et les tarifs sont plus élevés à Paris qu’en province», nuance un professionnel. S’il travaille à plein temps, le DAF peut espérer percevoir entre 80 000 euros et 120 000 euros de rémunération brute annuelle, ce qui correspond au salaire d’un directeur financier expérimenté au sein d’une PME. Cependant, les missions ne s’enchaînent pas toujours. Il peut y avoir des périodes avec moins de travail, et d’autres très soutenues. «J’ai retrouvé le même niveau de rémunération qu’auparavant, mais il peut y avoir des périodes plus actives que d’autres», précise Guy Degeorges.

D’autre part, il faut un certain temps pour se constituer un portefeuille de clients. «Au début, il faut faire jouer son réseau, passer beaucoup de temps à prospecter. Il faut savoir se vendre, ce qui n’est pas toujours évident pour un directeur financier», estime Guy Degeorges. Les premiers temps peuvent être difficiles. Il faut travailler donc redoubler d’efforts et ne pas sous-estimer l’investissement personnel initial. «Au début, j’ai enchaîné les petits-déjeuners et les cocktails dans les clubs de business, les manifestations d’entreprises, souligne Vianney Linque, devenu DAF à temps partagé en 2012, dans la banlieue de Lille, suite au dépôt de bilan de l’entreprise qui l’employait. Il faut se créer ses réseaux, être très motivé. Mais au bout de six mois, j’ai travaillé cinq jours par semaine, puis j’ai eu trop de travail, et j’ai dû embaucher.»

Un tremplin vers d’autres fonctions

Une fois que l’activité est bien lancée, elle peut en effet offrir de nouvelles perspectives. Certains directeurs financiers en profitent pour agrandir leur activité de services, en faisant travailler d’autres directeurs financiers à temps partagé. «Grâce à ma société Link Gestion, qui compte désormais un salarié, un associé, et quatre DAF indépendants qui effectuent des missions, je suis désormais un chef d’entreprise», se félicite Vianney Linque. Un cas de figure qui est loin d’être isolé et peut permettre de constituer un groupe plus diversifié (voir encadré).

Etre directeur financier à temps partagé peut aussi favoriser le retour vers un travail salarié plus traditionnel. Cette nouvelle façon de travailler, main dans la main avec nombre d’entreprises, permet parfois de saisir des opportunités professionnelles, notamment d’accéder plus facilement à un poste de directeur financier salarié, voire même de directeur général, à l’issue d’une mission. Morgane Rollando est ainsi devenue en 2016 vice-présidente finance et stratégie chez Augment, une société de réalité augmentée pour laquelle elle travaillait à temps partagé. «En étant DAF à temps partagé, on accède à plus d’opportunités, et à des postes parfois plus intéressants, car on rencontre beaucoup plus d’entreprises, et on enrichit considérablement son expérience», juge-t-elle.

Si les professionnels à temps partagé peuvent décider de le rester, ou ne l’être que de façon provisoire, un fait paraît certain : l’ère où les DAF faisaient toute leur carrière de manière linéaire, en tant que salariés, est révolue. Il y a désormais plusieurs façons d’être directeur financier.

Vers un label qualité d’ici à l’été

Face à l’essor du marché, un label qualité «direction financière à temps partagé» doit être lancé d’ici à l’été, par l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG). «Ce label vise à garantir que les directeurs financiers qui proposent leurs services aux PME ont bien les compétences et les diplômes requis. Il faut éviter que n’importe qui puisse proposer des services de mauvaise qualité à prix cassés», explique Guy Degeorges, qui dirige le groupe de travail chargé du sujet à la DFCG. Face à la demande des PME, certaines personnes, qui n’ont ni les compétences ni les diplômes, n’hésitent pas à proposer leurs services à bas prix. Le label qualité sera octroyé par un jury de la DFCG, après examen du dossier du candidat, en tenant compte de son expérience et de ses diplômes.

Atlays, une société de direction financière à temps partagé

Atlays fait figure de pionnière sur le marché de la direction financière à temps partagé. Son fondateur, Stéphane Fay, la crée dès 2001, lorsqu’il devient DAF à temps partagé. Puis, porté par la demande des PME, il recrute d’autres DAF à temps partagé, en tant que salariés. Stéphane Fay décide aussi d’élargir la palette des services à la carte proposés aux entreprises, aux RH, au marketing, à la direction commerciale, et même à la direction générale en 2015.

Aujourd’hui, Atlays compte une vingtaine de salariés et quatre bureaux, à Paris, Lyon, Bordeaux et Lille. «Alors que le métier de directeur financier devient de plus en plus complexe, les PME ont davantage besoin de recourir à des spécialistes dans ce domaine.» Lors des missions, les collaborateurs d’Atlays interviennent en binôme : un jeune talent, avec 5 à 15 ans d’expérience, travaille avec un directeur financier plus expérimenté. «Nous sommes plus sollicités qu’auparavant par de jeunes directeurs financiers, de 35 ans ou 40 ans, qui souhaitent nous rejoindre, constate Stéphane Fay. Travailler à temps partagé les intéresse, car les missions sont très variées et l’on apprend davantage.»

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