Technique de recrutement en plein essor, la méthode prédictive séduit de plus en plus de sociétés en quête de profils financiers. S’appuyant sur des algorithmes, celle-ci a tendance à se traduire chez ses utilisateurs par des niveaux de turnover sensiblement plus faibles et par une meilleure intégration des collaborateurs dans leur nouvel environnement.
Dénicher le meilleur collaborateur tout en s’assurant qu’il s’intègre bien à sa future équipe et, surtout, qu’il s’épanouisse durablement à son poste, tel est le rêve inespéré de tout recruteur. Et si cet espoir n’était pas illusoire ? Une technique d’embauche, en plein essor depuis quelques années, est en effet censée répondre à ces objectifs : le recrutement prédictif. «Cette méthode consiste à s’appuyer sur des algorithmes qui, conçus à partir des attentes des recruteurs, doivent prédire la capacité d’un candidat à réussir dans ses nouvelles attributions et dans son nouvel environnement», indique David Bernard, président-directeur général d’Assessfirst, une société spécialisée dans le recrutement prédictif. A en croire ce responsable, les résultats sont au rendez-vous. «Alors que nous accompagnons près de 3 500 clients dans 30 pays, certains d’entre eux sont parvenus à réduire leur taux de turnover de moitié !», assure David Bernard.
Un entretien plus qualitatif
Utilisé à l’origine pour l’engagement de commerciaux et de professionnels du marketing essentiellement, ce modus operandi séduit de plus en plus d’acteurs dans la sphère financière, qu’il s’agisse de directions financières d’entreprises ou de banques. «Bien que nous en soyons encore au balbutiement, nous avons commencé à recourir à la technologie prédictive pour identifier les bons profils dans le cadre de notre politique de mobilité interne, mais aussi pour embaucher dans certains métiers, comme les comptables et les banquiers disposant de prérogatives de management», témoigne Cécile Cartry, human resources business partner chez KBL European private bankers. Même les chasseurs de têtes s’intéressent de près à cette approche. «Afin d’optimiser nos processus de sourcing, nous avons mis en place plusieurs outils d’intelligence artificielle, souligne Mikaël Deiller, director finance & accounting chez Michael Page. Force est de reconnaître que le prédictif permet au consultant de gagner du temps dans le ciblage des meilleurs profils, temps qui peut ainsi être alloué à des tâches à plus forte valeur ajoutée.» De quoi inspirer d’autres cabinets. «Nous nous familiarisons actuellement avec cette technologie», prévient ainsi Justine Desarbres, manager chez Fed Finance à Aix-en-Provence.
Si l’approche prédictive semble donner satisfaction aux intéressés, c’est parce qu’elle leur donne des clés pour mieux cerner la personne face à eux. En effet, à la différence d’instruments aidant à dénicher des candidats (voir encadré), cette technique entre en piste une fois ces derniers connus. «L’idée consiste à évaluer un individu à travers trois axes : son agilité intellectuelle, sa motivation ainsi que sa personnalité dans des situations normales et de stress, précise David Bernard. Autant de paramètres qu’un CV et qu’un entretien de quelques minutes ne permettent pas toujours de détecter.» Pour ce faire, il convient de faire remplir au candidat un questionnaire à choix multiples, qui aborde ces diverses thématiques. «Les réponses sont ensuite analysées par un algorithme sur mesure, construit à partir des besoins de l’entreprise et de données externes (best practices pour le poste concerné…), qui va tenter de mettre en lumière les talents naturels d’une personne et son degré d’adéquation par rapport à la fonction à pourvoir», poursuit David Bernard. Parmi les objectifs principaux de cette démarche pour les postes financiers : savoir si l’individu est rigoureux, si son attitude contribue à limiter la prise de risques, s’il réagit sereinement dans des périodes de tension, etc.
Un choix plus objectif
Cette étape est suivie par la remise d’un rapport par candidat. Ce dernier permet dans un premier temps de faire une présélection lorsque de nombreux dossiers sont déposés, et dans un second temps de servir de base à l’entretien d’embauche. «Certes, il est important de prendre de recul quant à ses conclusions, insiste le responsable en ressources humaines d’une filiale d’un groupe du CAC 40. Pour autant, le fait de disposer en amont d’une expertise détaillée sur les traits comportementaux et les capacités de raisonnement d’un candidat permet d’isoler une liste de questions et, ainsi, d’aborder des aspects beaucoup plus qualitatifs lors de l’échange.» Même si ce document ne constitue pas une science exacte, son contenu est néanmoins jugé pertinent. «Il est arrivé que nous ne suivions pas les recommandations du rapport, et notre décision s’est soldée par un échec», admet Cécile Cartry. Autre argument militant en faveur du recrutement prédictif : son coût est peu onéreux, affirment ses utilisateurs.
Pour être pleinement efficace, celui-ci implique toutefois des prérequis. En particulier, il peut nécessiter de repenser le processus de recrutement en interne. «Afin de définir le profil idoine, il est primordial que les managers prennent le temps de s’interroger sur les compétences autres que techniques qu’ils recherchent, à l’instar des soft skills, ce qu’ils ne font pas toujours», recommande Cécile Cartry. Conséquence de cette phase de préparation, les délais de recrutement peuvent s’en trouver légèrement allongés. Un écueil que certains assimilent toutefois plutôt à un investissement. «Non seulement cette réflexion approfondie en amont permet d’affiner l’analyse délivrée par les algorithmes, mais elle permet aussi de renforcer l’objectivité du recrutement, ajoute Cécile Cartry. Alors qu’un même candidat peut faire une solide impression auprès d’un manager et en décevoir un autre, cette réflexion permet en effet de fixer un cadre avec des critères précis.» Cette caractéristique apparaît d’autant plus essentielle que la méthode prédictive est reconnue comme un moyen de lutter contre les discriminations à l’embauche. De quoi séduire un peu plus les entreprises, sommées par leurs partenaires (clients, investisseurs, agences de notation…) de poursuivre des politiques de responsabilité sociale.
S’inspirer des équipes existantes
- Rien de tel qu’une recette éprouvée pour éviter les déceptions. Ce concept, valable en cuisine, l’est également en matière de recrutement. «Pour ne pas se tromper sur le profil du candidat recherché, la priorité est d’identifier des “patterns”, c’est-à-dire des caractéristiques clés que l’on retrouve chez les collaborateurs qui réussissent dans l’entreprise et chez ceux qui ont échoué», recommande David Bernard, chez Assessfirst.
- Ce procédé a par exemple été mis en œuvre par le BHV pour le recrutement de vendeurs. «Dans l’optique de nouvelles embauches, l’enseigne a analysé les performances des salariés recrutés depuis un an, ainsi que celles de leurs collègues affichant davantage d’ancienneté lors de leur première année d’exercice, afin de pouvoir dresser le portrait-robot du collaborateur idéal», illustre David Bernard.
- D’après l’entreprise, ce modus operandi a permis de réduire significativement les délais de recrutement, d’un tiers environ, et les erreurs de casting. Selon des spécialistes, cette technique présente un intérêt particulièrement marqué pour certains postes financiers, notamment pour les contrôleurs de gestion et les fonctions managériales.
Combiner l’approche prédictive avec d’autres outils d’intelligence artificielle
- Alors que le recrutement prédictif peut aider à se faire un avis sur des candidats déjà identifiés, la première difficulté pour le recruteur consiste parfois à les dénicher. Cette situation peut tenir à des facteurs conjoncturels. «Les embauches s’étant accélérées depuis plusieurs mois dans la finance, la concurrence entre les employeurs est actuellement exacerbée, note un recruteur. Dans ce contexte, nous recevons beaucoup moins de sollicitations spontanées.» Parfois, cette complexité est aussi d’ordre structurel. «Dans certains métiers perdure une pénurie de candidats, notamment parmi les comptables confirmés bilingues et les consolideurs», observe Mikaël Deiller, chez Michael Page.
- D’après les spécialistes, l’intelligence artificielle peut constituer une réponse à ces problématiques. «Grâce par exemple à des technologies de “CV catching”, des algorithmes vont aller puiser sur Internet (LinkedIn, blogs…) pour opérer des rapprochements sémantiques entre le profil d’individus et le profil recherché par l’employeur, poursuit Mikaël Deiller. Ce procédé est particulièrement utile pour détecter des candidats qui ne sont pas à la recherche active d’un poste.» S’adressant plus directement aux candidats, le «real time bidding» permet d’aller encore plus loin. «En fonction des sites sur lesquels navigue un candidat et ses recherches, des algorithmes vont lui faire remonter des offres d’emploi censées mieux lui correspondre», ajoute Mikaël Deiller.