Depuis quelques années, les services publics et parapublics recrutent de plus en plus de cadres financiers issus du privé. Si les niveaux de rémunération sont souvent inférieurs, les professionnels se voient offrir de belles opportunités de carrière.
Face aux crises financières à répétition et surtout à de nouvelles contraintes budgétaires, les secteurs publics et parapublics n’hésitent plus à recruter des financiers issus du privé. «Nous avons constaté une première marque d’intérêt pour les compétences financières du privé en 2009, puis de nouveau en 2011», précise David Mérigonde, manager exécutif senior au sein de la division public & parapublic de Michael Page.
La recrudescence des besoins s’est d’abord manifestée au sein des collectivités locales. Ces dernières ont en effet souhaité se reposer sur l’expérience de financiers ayant déjà réalisé des opérations de restructuration afin de redresser une situation financière devenue alarmante. «Nombre d’entre elles se sont retrouvées avec des emprunts toxiques et les plus importantes ont recruté dans le privé des experts pour restructurer leur dette, explique Grégory Skibiak-Désir, consultant RH expert en finances publiques au sein du cabinet Light Consultants. Cette compétence est depuis 2009 souvent attendue par nos clients compte tenu des enjeux dans ce secteur.»
Une recherche d’optimisation
Cette situation ne s’est d’ailleurs pas cantonnée aux seules collectivités locales puisque les autres administrations ont eu tendance à rechercher davantage de financiers issus du secteur privé ces dernières années. «Je recrute très volontiers dans le privé car je crois qu’un service bien équilibré a besoin d’agents de la Sécurité sociale qui connaissent très bien son fonctionnement, mais aussi des financiers ayant vécu d’autres situations et d’autres types de gestion», témoigne Mickaël Gautronneau, secrétaire général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).
Une stratégie choisie par de nombreuses administrations pour trouver notamment des solutions face à la baisse généralisée de la dotation de l’Etat.«Nous cherchons à nous inspirer des pratiques des entreprises pour répondre à nos contraintes budgétaires qui sont de plus en plus importantes depuis 2009», ajoute Carole Fiard, directeur administratif et financier de Pôle emploi Rhône-Alpes. Mais tous les types de profils ne sont pas plébiscités. «La transition est encore en cours, nuance Grégory Skibiak-Désir. Par exemple, les collectivités cherchent des chefs de projets ou des responsables de contrôle de gestion, mais les postes de directeurs financiers restent moins ouverts aux profils issus du privé, les élus étant encore un peu réticents à en embaucher car le titulaire du poste doit très rapidement être opérationnel.»
Dans les organismes parapublics (comme Pôle emploi, la Poste, la SNCF, Orange, la RATP, etc.), le directeur financier peut néanmoins présenter un parcours issu plus largement du privé. Par exemple, Yves Garnier, actuellement directeur général adjoint en charge de la gestion et des finances de France Télévisions, a été recruté en 1997 par France 3. «Auparavant, j’étais directeur financier de France Télécom Mobile Radio Messagerie et j’ai participé, pour la filiale de l’opérateur téléphonique, aux travaux du groupe lors de la privatisation, indique Yves Garnier. Lors de mon recrutement au poste de directeur financier de France 3, cette expérience a été appréciée.» Ainsi, les structures de ce type ont très tôt fait le pari de chercher des compétences en externe pour optimiser leur organisation et leurs coûts.
Une rémunération à la traîne
Si le fait de recruter des financiers dans le privé est désormais assumé, les services publics comme parapublics doivent faire face à une difficulté d’envergure : la rémunération. «Un responsable de la dette dans le privé peut perdre plus de 500 euros nets sur son salaire mensuel en rejoignant le secteur public, reconnaît Grégory Skibiak-Désir. Et comme la progression salariale demeure faible, il convient de bien négocier en amont.»
En clair, un candidat issu du secteur privé doit demander une exception à la grille tarifaire souvent en vigueur afin d’aligner son salaire sur celui du grade supérieur, en mettant notamment en avant l’expertise qu’il apporte.«Malgré cela, les rémunérations demeurent en moyenne 20 % inférieures à celles qui se pratiquent dans le privé», reconnaît David Mérigonde. De plus, les directions financières de ces services ayant pour objectif de réduire les coûts, la tendance n’est clairement pas à la revalorisation. Et les bonus sont, dans ce secteur, quasiment inexistants. «Pour certains postes, les parts variables sont certes relativement plus faibles, précise Arnaud Caudoux, directeur exécutif, en charge des finances, des risques et de l’informatique de Bpifrance. Mais une entreprise comme la nôtre peut se permettre d’offrir une rémunération légèrement inférieure, grâce à l’attrait des missions qu’elle propose.»
Une réelle opportunité de carrière
Non seulement la notion de service public continue d’attirer les candidats (voir encadré), mais ces derniers peuvent se voir offrir des opportunités de carrières bien réelles. Par exemple, un poste de responsable de projets au sein d’une collectivité locale, notamment en optimisation financière, peut déboucher sur une fonction de directeur, puis à terme, sur celle de directeur général adjoint des ressources, soit un poste de direction équivalent au bras droit des élus locaux. «Passer par la finance est devenu la voie royale dans le public et le parapublic, permettant ainsi d’accéder au plus haut niveau de responsabilité en peu de temps», résume Grégory Skibiak-Désir. A tel point que les transferts du privé vers le public sont souvent définitifs.«La principale raison est qu’il est réellement possible de faire carrière», insiste David Mérigonde.
Souvent, les directeurs financiers ayant une réelle expertise sont encore trop rares. Avec une demande forte en la matière et une concurrence moins exacerbée que dans le privé, les parcours professionnels sont alors particulièrement dynamiques.
Mais attention : à cause du déficit d’image en termes de gestion financière des services publics et parapublics, il est aussi souvent difficile de retourner ultérieurement vers une entreprise privée, sauf si cette dernière est un grand fournisseur de l’Etat ou de collectivités.
Des fonctionnaires devenant directeurs financiers
Les profils du privé ne sont pas les seuls à présenter un profil intéressant pour les directions financières du secteur public. Des hauts fonctionnaires, notamment ceux diplômés de l’ENA, peuvent également y trouver des opportunités de carrière attractives.
«Je ne m’étais pas prédestiné à la finance, reconnaît Arnaud Caudoux (44 ans), directeur exécutif, en charge des finances, des risques et de l’informatique de Bpifrance.Mais chaque expérience professionnelle m’en a rapproché un peu plus et j’ai fait ce choix progressivement.» En effet, ce polytechnicien et diplômé de l’école nationale des Ponts et Chaussées a commencé sa carrière en 1997 chez Accenture en tant que consultant avant d’intégrer les équipes d’AT Kearney en 2001. «En intégrant ensuite Sofaris, une filiale d’Oséo, en tant que responsable du service managements des risques de crédit, innovation produit et technique de l’information et de la communication en 2003, j’ai pris mon premier poste dans le secteur financier», ajoute Arnaud Caudoux. Un changement qui lui a ensuite permis de très vite évoluer : en 2004, il devient directeur général adjoint de la filiale ; en 2008, il prend la fonction de directeur général délégué d’Oséo ; en 2013, il est nommé directeur exécutif et directeur financier de Bpifrance, son poste actuel.
Enarque, Hugues Bied-Charreton (49 ans), a rejoint le ministère du Budget en 1995 au poste d’adjoint au chef du bureau du secteur télécommunication et de la recherche. «Je m’occupais alors notamment de la tutelle de France Télécom, se souvient ce dernier. J’étais en charge d’accompagner la transition de France Télécom vers le privé.» Il poursuit ensuite sa carrière en tant que chef du bureau de l’industrie et du secteur public, à une époque où la tutelle de l’Etat était plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui. «Nous allions jusqu’à fixer les tarifs et les niveaux d’investissements de ces entreprises publiques», précise Hugues Bied-Charreton. Il devient ensuite sous-directeur du ministère du Budget, avant d’être nommé adjoint au directeur du budget en 2006. En 2009, il est recruté comme directeur administratif et financier de la Défense.
Le service public au cœur des problématiques financières
Outre des problématiques financières tout aussi riches à traiter que dans le privé, les postes de financiers dans le secteur public apportent aussi une autre dimension. «Notre mission consiste à s’assurer que la stratégie d’investissements demeure possible dans un contexte budgétaire limité, témoigne Yves Garnier, directeur général adjoint en charge de la gestion et des finances de France Télévision. Ainsi, notre rôle est de donner les moyens d’offrir une grille de programmes ambitieuse, à la hauteur de notre mission de service public.»
Ce type de problématique se retrouve dans d’autres secteurs. «Notre objectif consiste à gérer un outil de défense performant, en veillant à une utilisation efficace des deniers publics, résume Hugues Bied-Charreton, directeur financier du ministère de la Défense, encadrant environ 200 personnes. Tenir cet objectif est une mission noble à mes yeux.» Pour y parvenir, il doit s’assurer de la fiabilité et de la soutenabilité financière de la programmation du budget (environ 42 milliards d’euros), contrôler le budget sur le long terme et présenter le rapport annuel de l’exécution financière transmis au Parlement dans le cadre de la loi de programmation militaire.
Il a aussi en charge plus de 95 milliards d’euros d’actifs immobilisés et 33 milliards d’euros de stocks. Enfin, il met en place des swaps, c’est-à-dire des produits dérivés, afin de limiter les risques de volatilité du cours du pétrole et d’anticiper le coût du carburant des bateaux, avions et véhicules utilisés pour les missions.