Face à des fraudes qui coûtent très chères, les entreprises cherchent à recruter des experts capables de les élucider, voire de les éviter ! Une niche se développe ainsi pour les responsables de lutte contre la fraude, ouvrant également des perspectives en interne pour les collaborateurs financiers.
Ils sont les Sherlock Holmes ou les Hercule Poirot de la finance. Observation, déduction et enquêtes constituent leurs méthodes de travail. Ces professionnels peuvent avoir des titres qui diffèrent sur leurs cartes de visite : fraud officer, responsable de lutte contre la fraude, directeur de la sûreté… Mais ils ont pour point commun de lutter contre les actes malveillants qui peuvent coûter très cher aux sociétés qui les emploient. La fraude, sous toutes ses formes (détournement d’actif, fraude au président ou encore fraude comptable), représente en effet entre 5 % et 7 % du chiffre d’affaires des entreprises mondiales selon les études de l’AFCE (Association of Certified Fraud Examiners).
Alors qu’auparavant les grands groupes faisaient largement appel à des auditeurs externes de manière ponctuelle, ils tentent désormais d’être plus proactifs. «Beaucoup de sociétés qui sous-traitaient cette problématique souhaitent désormais mieux l’anticiper, en sensibilisant et en formantleurs collaborateurs, explique Maurice Dhooge, directeur de la sûreté chez Schneider Electric. Afin de mieux gérer les crises, elles ont désormais besoin d’un expert en permanence en interne.» Dans ce contexte, ce type de demandes se multiplie, surtout de la part de grands groupes présents à l’international. Si les entreprises du secteur de la défense, de l’aéronautique et des télécoms ont été précurseurs, tous aujourd’hui sont concernés. «Depuis un an et demi, nous sommes souvent sollicités par les entreprises du SBF 120 pour ces profils d’experts,confirmeElisabeth Chevillard, consultante senior finance d’entreprise chez Robert Walters. Ils font appel à nous, car ce profil est celui d’un métier de niche.»
Un auditeur un peu spécial
Même si les tâches de ces spécialistes ressemblent en partie à celles des auditeurs, elles dépassent toutefois le seul champ de l’audit, qui cherche avant tout à améliorer le fonctionnement de l’entreprise. L’investigation de lutte contre la fraude, en effet, vise pour sa part à traquer les comportements délictueux, qui contournent volontairement les procédures. «J’élucide des cas de fraude, ce qui demande d’enquêter et d’interroger les salariés pour trouver la faille et les responsables, complète Jean-Luc Deza, fraud officer chez Saint-Gobain. Le cas échéant, je dois rédiger un rapport à charge qui puisse être remis à un juge d’instruction, ce qui est différent d’un rapport d’audit classique.» Ainsi, ce qui distingue ces professionnels des auditeurs est leur capacité à mener une enquête, à démonter les rouages d’une fraude et à trouver la faille comme le ferait… un policier.
Des profils expérimentés recherchés
D’ailleurs, beaucoup des responsables de lutte contre la fraude viennent de ce milieu. Par exemple, Jean-Luc Deza a passé vingt-cinq ans dans la gendarmerie avant d’être recruté par Saint-Gobain. Les profils ayant une expérience dans la police, l’armée ou la gendarmerie sont particulièrement privilégiés pour des postes plus polyvalents de directeur de sûreté, qui a non seulement en charge la lutte contre la fraude et la sécurité des personnes (voir encadré).
Outre cette catégorie de profils, les sociétés sont également à la recherche de professionnels bénéficiant d’une expertise dans le domaine de la fraude. «Nous recherchons des collaborateurs issus de cabinets d’audit, provenant exclusivement de la cellule de lutte contre la fraude et qui justifient d’une expérience probante dans ce domaine», précise Elisabeth Chevillard. Le plus souvent, dix années d’expérience sont en effet demandées. Et les entreprises sont prêtes à rémunérer ce savoir-faire ! «Par exemple, un expert spécialisé dans l’audit de fraude doté d’une expérience de neuf ans peut prétendre à un salaire fixe annuel de 80 000 euros complété par une part variable d’environ 10 000 euros», poursuit Elisabeth Chevillard.
Certains groupes, quant à eux, ont préféré miser sur un salarié ayant su se distinguer en interne, comme chez Schneider Electrics. «Avant d’être dans mon poste actuel, j’ai occupé plusieurs postes dans le groupe, dont celui de directeur général d’une filiale, explique Maurice Dhooge. Le fait de connaître parfaitement l’entreprise et ses rouages permet d’identifier plus facilement les failles exploitées par les fraudeurs.»
Quel que soit le moyen de recrutement, les candidats doivent impérativement avoir fait leurs preuves dans des métiers financiers. Par exemple, Jean-Luc Deza a occupé un poste au sein de la police judiciaire économique et financière. Maurice Dhooge, pour sa part, avait mené plusieurs chantiers financiers au sein de Schneider Electric. «Une de mes missions a notamment été de refonder la comptabilité analytique de cette entité, ce qui me permet aujourd’hui de me servir de ces connaissances financières dans mes enquêtes», témoigne-t-il.
Enfin, Olivier Belma, actuellement responsable fraude & revenus assurance chez Bouygues Télécom, a étudié le droit dans un premier temps et suivi un troisième cycle en gestion. Il a été consultant pendant des années, avant de rejoindre Bouygues Télécom, où il a notamment été en charge du recouvrement et des moyens de paiements. «Le métier de responsable fraude demande de comprendre les rapports entre le contrôle interne et les enjeux financiers du groupe. Il faut en permanence trouver le juste équilibre entre les impératifs de rentabilité et maximisation des ventes de chacune des offres et un risque maîtrisé», témoigne Olivier Belma.
Un métier qui s’institutionnalise
Outre le poste de responsable de lutte contre la fraude, certains grands groupes vont plus loin dans leur démarche et recrutent afin de construire une équipe réduite autour de l’expert senior. «Souvent mes missions s’accompagnent ensuite de recrutements de profils plus juniors, qui agiront en support du responsable, poursuit Elisabeth Chevillard. J’utilise les mêmes viviers de talents, avec cinq ou six ans d’expérience seulement.» La création de ces équipes peut alors également susciter de nouvelles vocations. Elle permet aux financiers qui le souhaitent de parvenir à cette spécialité par promotion interne, comme cela a été le cas chez Bouygues Télécom. «Pour constituer mon équipe, j’ai cherché dans le groupe des spécialités complémentaires, en contrôle de gestion, système d’information, gestion des risques mais aussi en droit ou en statistiques, résume Olivier Belma. Mais surtout, je cherchais une curiosité, une capacité d’analyse et une adaptabilité.» Outre la promotion interne, des masters commencent à préparer également de jeunes financiers. «J’informe les étudiants sur les techniques d’investigation dans le cadre d’un module du master droit et finance d’Aix-en-Provence, témoigne Jean-Luc Deza. Ce type de formations constitue selon moi le terreau des futurs fraud officers.» Une nouvelle voie est ainsi en train de se dessiner pour répondre au besoin actuel d’expertises.
Le directeur de sûreté, une mission plus large que la seule fraude
• Les grands groupes industriels et de BTP présents dans des pays complexes en termes de sécurité, tendent à se doter plutôt d’un directeur de sûreté que d’un fraud officer, afin que ce dernier se charge non seulement de lutter contre les malveillances sur les biens matériels et immatériels de l’entreprise, mais aussi et surtout celles visant les individus. Dans ce cadre, la mission d’un directeur de sûreté consiste alors à protéger les salariés en situation délicate, souvent à la suite d’événements survenus dans le pays où ils sont expatriés. Par exemple, les grands groupes français ont dû veiller à la santé de cadres au Japon après la catastrophe de Fukushima, trouver le moyen de rapatrier des collaborateurs en Libye lors de la chute du régime de Khadafi ou protéger ceux présents en Côte d’Ivoire suite à l’intervention militaire française. «Dans ce cadre, nous devons travailler avec les forces militaires et la police, que ce soit depuis la France ou localement, explique Maurice Dhooge, directeur de la sûreté chez Schneider Electric. L’enjeu est alors de garantir à nos salariés le plus de sécurité possible.»
• Alors que la menace d’enlèvements ou d’attaques de ressortissants français s’est renforcée depuis que la France a rejoint la coalition internationale luttant contre l’Etat islamique, les entreprises qui ne disposent pas encore de directeur de sûreté font, dans un premier temps, appel à des services extérieurs. Mais, selon des spécialistes, de nombreuses sociétés exposées dans les pays à risque devraient recruter leur propre responsable de la sûreté dans les mois à venir.