Hausse des droits de douane: répondre ou ne pas répondre ?

Publié le 18 novembre 2024 à 11h37

Gilles Moëc    Temps de lecture 5 minutes

L’élection de Donald Trump accroît bien évidemment les risques de déclenchement d’une nouvelle guerre commerciale avec les Etats-Unis. Différence notable avec 2018 toutefois : tandis que la Chine continuerait de faire l’objet d’un traitement spécifique avec une hausse des droits de douane à 60 %, tous les exportateurs vers les Etats-Unis subiraient cette fois un relèvement des tarifs à 10 % – soit un triplement par rapport au niveau moyen actuel. Avant même que la nouvelle administration républicaine ne prenne ses fonctions, et sans information tangible sur les conditions d’une telle poussée protectionniste, le débat en Europe se focalise déjà sur la rétorsion possible. L’opinion publique européenne demandera probablement des « représailles », mais il n’est pas interdit de faire preuve de subtilité.

Si les producteurs européens sont effectivement confrontés à une hausse uniforme des droits de douane, affectant tous les exportateurs vers les Etats-Unis de la même manière, il n’est pas du tout évident qu’il soit rationnel pour l’Union européenne (UE) d’y répondre. En effet, les Européens ne perdraient en compétitivité qu’à l’égard des producteurs américains. Or, il n’existe pas d’offre américaine viable pour de nombreux produits. La hausse des droits de douane inciterait certes à davantage de délocalisation de la production vers le territoire américain, mais au regard des différences structurelles de coûts explicites ou implicites entre les deux côtés de l’Atlantique (prix de l’énergie, régulations), une hausse de 10 % des droits de douane ne changerait pas nécessairement la donne de manière significative, surtout si une dépréciation durable de l’euro la compense au moins partiellement. Ajouter à la détérioration de la position compétitive de nos produits aux Etats-Unis, et aux risques accrus de délocalisation, une perte pour nos consommateurs en imposant nos propres tarifs uniformes sur les produits américains ne ferait que rendre la facture plus lourde.

«Si les producteurs européens sont effectivement confrontés à une hausse uniforme des droits de douane, affectant tous les exportateurs vers les Etats-Unis de la même manière, il n’est pas du tout évident qu’il soit rationnel pour l’Union européenne d’y répondre.»

Le calcul serait différent si, plutôt qu’une hausse « générique » portant sur tous les produits de leurs partenaires commerciaux hors Chine, les Etats-Unis choisissaient une approche plus granulaire ciblant les produits sur lesquels l’avantage compétitif européen est particulièrement élevé, pour lesquels le marché américain est crucial, et dont l’impact sur la compétition technologique est lourd. Dans ce cas, les producteurs européens seraient bien souvent pénalisés non seulement par rapport à d’éventuels concurrents américains, mais également à l’égard de producteurs de pays tiers. Affectant des secteurs stratégiques, l’impact à long terme sur la croissance européenne serait plus lourd. Dans la mesure où il s’agirait de droits de douane granulaires du côté américain, il serait symétriquement plus facile pour l’UE de mettre en œuvre des mesures de rétorsion qui, tout en minimisant le choc pour les consommateurs européens, cibleraient des produits économiquement ou politiquement sensibles aux Etats-Unis. L’exemple type serait un produit américain dont le poids dans la consommation européenne est faible, mais dont l’impact sur la production dans la circonscription d’un élu républicain est important. Une telle approche – poursuivant celle adoptée lors des « escarmouches commerciales » transatlantiques du premier mandat de Trump sur l’acier et l’aluminium – pourrait être susceptible de convaincre les cercles politiques américains d’éviter une escalade supplémentaire.

Il ne faut toutefois pas surestimer l’impact politique des mesures de rétorsion, même si leur effet économique peut être tangible. Une étude très fouillée du NBER par Michael Waugh a analysé l’impact des mesures de représailles chinoises lors de la première guerre commerciale au niveau de chaque comté américain – à partir de leur intensité en production touchée par les droits compensatoires. La différence de performance du marché du travail était visible : l’emploi dans les comtés les plus touchés par ces droits chinois a progressé de 0,75 % de moins que dans les autres. Pour autant, les derniers résultats électoraux suggéreraient que les citoyens de ces Etats n’en ont pas voulu aux républicains : le Wisconsin et le Michigan, du fait de leur spécialisation industrielle, sont parmi les Etats les plus frappés par les représailles chinoises, et sont toutefois tombés dans l’escarcelle républicaine cette année.  

Plus fondamentalement, la question que l’Europe doit se poser est de savoir s’il est dans son intérêt à long terme de se prêter à une escalade continue de la guerre commerciale. En effet, la croissance de l’UE est structurellement plus dépendante des exportations que celle des Etats-Unis, qui disposent de réserves de demande intérieure plus importantes. Cette variable joue contre la crédibilité européenne en la matière.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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