Le prix caché du mécénat

Publié le 16 mai 2025 à 14h00

Marie-Aude Laguna    Temps de lecture 5 minutes

Alors que les Etats sont fortement endettés et peinent à financer certains biens publics – de la culture à la santé, en passant par l’éducation et la recherche – le mécénat d’entreprise ne cesse de croître.

La rénovation de Notre-Dame de Paris, financée pour l’essentiel par les fondations de très grandes entreprises, en est l’exemple le plus marquant. Plus récemment, Bill Gates annonçait que sa fondation dépenserait l’essentiel de sa fortune, plus de 200 milliards, dans les vingt prochaines années, écartant dès lors la possibilité que l’argent reste improductif ou hors de son contrôle.

Le mécénat d’entreprise – qu’il soit réalisé directement ou via des fondations liées à des dirigeants – bénéficie d’une fiscalité avantageuse. En France, les dons des entreprises sont en grande partie déductibles d’impôt, à hauteur de 60 %, dans la limite de 0,5 % de leur chiffre d’affaires. En contrepartie, l’Etat délègue aux entreprises et aux fondations la mission d’allouer des ressources publiques et de financer des biens publics. En France, selon le baromètre de l’Admical, les entreprises ont donné près de 3 milliards d’euros en mécénat en 2023, un chiffre en forte hausse depuis les années 2000, mais encore modeste au regard du déficit budgétaire de l’Etat (de 173 milliards d’euros en 2023).

«En dépit de ses nombreux avantages, le mécénat peut faire l’objet de critiques sévères.»

Les Etats auraient tort de se priver des moyens financiers et humains considérables dont bénéficient les grandes entreprises. Chaque entreprise ou fondation ayant ses propres priorités, parfois ancrées au niveau local, elles devraient bénéficier d’avantages informationnels et d’une efficacité redoutable en comparaison des Etats. De manière plus générale, la pluralité des mécènes, de leurs convictions, devrait assurer une certaine diversification et représentativité démocratique dans l’allocation des fonds publics.

En dépit de ses nombreux avantages, le mécénat peut faire l’objet de critiques sévères. L’allocation des fonds serait orientée par des logiques sensationnalistes, par exemple en cas de catastrophes naturelles, les éloignant de la maximisation du bien-être social et de problématiques structurelles tout aussi critiques. Plus crucial : l’allocation des fonds échapperait à toute délibération démocratique, et à une véritable supervision de la part des actionnaires de l'entreprise et de l’Etat.

Pour les entreprises, le mécénat pourrait jouer un rôle analogue à celui de la publicité ou de l’investissement socialement responsable, en renforçant l’image de marque de l’entreprise. Dès lors, en augmentant les ventes de l’entreprise ou la motivation des salariés, le mécénat présenterait un avantage collatéral certain pour les actionnaires.

Néanmoins, parce que les entreprises et leurs dirigeants sont susceptibles d’en retirer des bénéfices privés, le mécénat pourrait soulever des conflits, dits "d’agence", avec les actionnaires  sur l'allocation des ressources de l'entreprise. Il convient donc de s’interroger sur les objectifs que pourrait masquer le mécénat.

Dans l’article : « Paying by Donating: Corporate Donations Affiliated with Independent Directors », publié dans la Review of Financial Studies en 2021, Cai, Xu et Rai montrent que les PDG ont moins de chances d’être remplacés après de mauvaises performances financières lorsque leurs entreprises réalisent des dons à des organisations caritatives avec lesquelles certains membres de leur conseil d’administration sont affiliés. La rémunération des PDG est en moyenne 9,4 % plus élevée dans les entreprises qui font ce type de dons, pourtant largement invisibles pour les actionnaires, faute d’obligation de transparence.

Plus problématique encore, des recherches publiées par Bertrand, Bombardini, Fisman et Trebbi dans l’American Economic Review en 2020 ont mis en évidence une très forte corrélation entre dons philanthropiques par les entreprises et influence politique aux Etats-Unis. Ils démontrent que les entreprises ont tendance à verser davantage de dons dans les circonscriptions des parlementaires au moment où ils intègrent des commissions parlementaires stratégiques.

Les auteurs montrent en outre qu’un organisme à but non lucratif a quatre fois plus de chances d’être financé par une fondation d’entreprise si un parlementaire siège à son conseil d’administration. Les auteurs en concluent que le mécénat peut donc être un outil discret mais efficace de lobbying, échappant à la vigilance du public, et influençant potentiellement les décisions législatives.

Le mécénat d’entreprise obéit à sa propre logique. Il échappe par construction au cadre de la délibération démocratique, car il peut être source d’efficacités économiques dans le financement des biens publics. Depuis 2019, en France, à la suite d’un rapport de la Cour des comptes, le gouvernement a instauré des règles de transparence sur les dépenses de mécénat des entreprises. Pour autant, aussi bien pour les citoyens que pour les actionnaires, beaucoup reste à faire afin que ces règles de transparence soient appliquées, informatives, et favorisent véritablement la gouvernance du mécénat d’entreprise.

Marie-Aude Laguna Maître de conférence ,  Université Paris-Dauphine

Marie-Aude Laguna est maître de conférence à l'Université Paris-Dauphine

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