La crainte de certains salariés de subir les représailles de la personne qu’ils mettraient en cause, par voie de témoignages, a conduit les employeurs à produire en justice des témoignages anonymisés, occultant l’identité des témoins, afin de protéger leur sécurité. Comment toutefois concilier cette pratique avec le droit à un procès équitable, garanti notamment par le principe du contradictoire qui impose que toutes les pièces versées dans le procès civil soient préalablement échangées et débattues entre les parties ? C’est la question examinée par la chambre sociale, plus particulièrement depuis 2018.
Ainsi, par arrêt du 4 juillet 2018 (n° 17-18.214), la chambre sociale est d’abord venue préciser, au visa de l’article 6 de la CEDH qui garantit le droit à un procès équitable, que le juge ne pouvait fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes. La haute cour a ensuite ajouté que le juge pouvait toutefois « prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence » (Cass. soc. 19 avr. 2023, n° 21-30.308 ; Cass. soc. 11 déc. 2024, n° 23-15.154). Aujourd’hui, par un arrêt du 15 mars 2025 (n° 23-19.154), appelé à figurer au rapport annuel de la Cour de cassation, la chambre sociale tempère encore sa position.
En l’espèce, un salarié avait été licencié pour faute grave en 2017 pour avoir fait régner un climat de peur dans l’entreprise et avoir repris ses horaires d’équipe de l’après-midi sans l’accord de l’employeur, alors que ce changement, demandé par le salarié, avait été mis en œuvre afin de « neutraliser sans heurt ses capacités de nuisance » et de limiter autant que possible ses contacts avec les salariés qui avaient exprimé leur peur de le côtoyer.
Contestant son licenciement devant la juridiction prud’homale, le salarié sollicitait des indemnités de rupture ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Pour justifier la matérialité des faits reprochés, l’employeur, sur qui pèse exclusivement la charge de la preuve de la faute grave, avait produit aux...