Métier

La lente professionnalisation des proxy advisors

Publié le 3 juin 2025 à 8h00

Chloé Consigny    Temps de lecture 7 minutes

Si le rôle des proxy advisors est régulièrement critiqué, tant par les émetteurs que par le régulateur, une première expérience au sein d’une société de conseil en vote en assemblée générale est généralement reconnue. Bon nombre de ces experts évoluent ensuite vers des postes d’analystes chez les asset managers.

Ils ont pour rôle d’établir des recommandations de vote en assemblée générale, à destination de leurs clients actionnaires ou investisseurs. En pleine saison des assemblées générales, l’indépendance des proxy advisors reste largement questionnée. Que reproche-t-on réellement aux proxy advisors ? Dans une note publiée récemment et intitulée « Gouvernance des entreprises cotées : vertus et limites des proxy advisors », l’institut Messine pointe trois défaillances majeures. D’abord, une standardisation excessive qui tend à uniformiser les votes ; ensuite un risque réel de panurgisme, les sociétés de gestion ne prenant pas le temps d’analyser elles-mêmes les résolutions ; enfin, de possibles conflits d’intérêts, la plupart des sociétés cumulant les prestations de conseil aux investisseurs et les services d’analyse à destination des émetteurs. « Les proxys sont à la fois utiles et problématiques », résume Helman le Pas de Sécheval, secrétaire général de Veolia. Les émetteurs les jugents utiles car ils les challengent et ils aident les investisseurs à se forger un avis sur le vote des résolutions. Mais les proxys sont vus aussi comme problématiques par leur systématisme et leurs approximations. 

Deux acteurs de taille importante pour le marché français

Contrairement à d’autres métiers de l’asset management, l’existence des sociétés de conseil en vote est relativement récente. En France, deux acteurs de taille importante se partagent le marché : ISS et Proxinvest (Glass Lewis). « Il faut bien avoir à l’esprit que les proxy advisors sont apparus il y a une quarantaine d’années en France. C’est donc un métier relativement récent qui est encore en phase de professionnalisation », constate Carole Rozen, analyste financier, experte des valeurs moyennes européennes et autrice de la note de l’institut Messine. Une profession qui a donc appris en marchant, poussée par l’évolution du cadre réglementaire. En 2013, un tournant important s’est produit dans la régulation des proxy advisors avec l’adoption par l’Union européenne de la directive dite « SRD I » (Shareholder Rights Directive). Les principales agences de conseil en vote ont alors adopté un code de bonne conduite volontaire (BPP – Best Practice Principles) et se sont structurées autour de procédures internes plus transparentes, d’une méthodologie plus stricte et d’une communication multipartite, comprenant des échanges avec les émetteurs, les actionnaires et les médias. « Le cadre a évolué et les pratiques ont énormément changé », constate Carole Rozen, à tel point que même si les proxys sont décriés par les émetteurs, les talents qui y évoluent sont considérés comme ayant reçu une très bonne formation. « Il s’agit d’un métier qui concilie différentes compétences qu’il est difficile de réunir : le juridique, le financier, mais également un volet gouvernance et rémunération », explique Charles Pinel, directeur général de Proxinvest.

Une bonne école

La professionnalisation est également sensible au sein des investisseurs qui se sont dotés d’équipes internes de « stewardship » : des analystes spécialisés dans l’examen des résolutions, qui jouent un rôle de filtre et de vérification des recommandations émises par les proxys. « J’ai commencé ma carrière chez AXA IM et les équipes internes chargées d’examiner en profondeur chaque résolution d’assemblée générale de chaque société détenue en portefeuille étaient alors composées de deux à trois personnes. Aujourd’hui, il y a une quinzaine de personnes chez Amundi, tandis que le géant BlackRock totalise une soixantaine de personnes sur ces questions », constate Carole Rozen.

De fait, les jeunes recrues des sociétés de conseil en vote évoluent régulièrement vers des postes d’analyses chez les investisseurs. « Nous sommes de grands formateurs pour les sociétés de gestion », constate Charles Pinel. Les jeunes recrues des sociétés de conseil proviennent majoritairement d’écoles de commerce et de Science Po. Le sujet de la gouvernance reste au cœur des problématiques de proxy. « Chaque année, nous avons des controverses sur la rémunération des dirigeants », explique Charles Pinel. Si le volet transition énergétique ne fait pas partie des résolutions votées en assemblée générale, une culture générale sur les sujets ESG reste attendue. Les armées de proxys sont très souvent des jeunes analystes, dont les équipes sont fortement renforcées durant les périodes d’assemblée générale, via notamment la présence d’alternants. Ils appliquent avec rigueur une méthodologie standardisée, voire même rigide, comme le détaille la note de l’institut Messine : « les proxys ne font que cocher des cases, sans chercher à comprendre finement les spécificités des rémunérations pour chaque émetteur », explique le dirigeant d’un groupe financier cité dans la note.

«Durant la crise sanitaire, certains dirigeants se sont illustrés par leur capacité à gérer l’improbable. Ce type de comportement doit pouvoir être valorisé dans la politique de rémunération.»

Helman le Pas de Sécheval secrétaire général ,  Veolia

Une critique sévère, les proxys ne se contentant pas d’une analyse quantitative, mais s’obligeant le plus souvent à une analyse qualitative, qui passe par la compréhension des sociétés et de leurs dirigeants. Pour les émetteurs, l’analyse qualitative doit en effet entrer également dans l’évaluation, comme l’explique Helman le Pas de Sécheval. « Il faut bien sûr des éléments d’analyse quantitative qui permettent de livrer des recommandations fiables. Néanmoins, je suis convaincu qu’il est nécessaire de laisser une place à l’appréciation qualitative. » Pour illustrer son propos, il appelle à se remémorer la période de confinement. « Durant la crise sanitaire, certains dirigeants se sont illustrés par leur capacité à gérer l’improbable. Ce type de comportement doit pouvoir être valorisé dans la politique de rémunération », explique-t-il, en plaidant pour une analyse reposant à 80 % sur du quantitatif et à 20 % sur du qualitatif.

Une des solutions pourrait advenir avec l’IA, qui traiterait davantage la data, tandis que les analystes pourraient se focaliser sur le volet qualitatif. « Le métier de proxy advisors est un métier qui se prête bien à l’usage de l’intelligence artificielle, notamment sur la saisie de données et l’analyse quantitative », conclut Charles Pinel.

Un cadre juridique récent

La loi Pacte du 22 mai 2019 a transposé en droit français la directive européenne (UE) 2017/828, dite SRD II (Shareholder Rights Directive II), visant à renforcer l’implication des actionnaires dans les sociétés cotées. Un proxy advisor est défini comme « toute personne morale qui analyse, sur une base professionnelle et commerciale, les documents sociaux ou toute autre information concernant des sociétés cotées, dans le but d’éclairer les décisions de vote des actionnaires par la fourniture de recherches, de conseils et de recommandations ». Une évolution réglementaire qui vise à professionnaliser un secteur encore jeune et à renforcer la confiance dans le processus de gouvernance des entreprises cotées.

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