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Actions : trouver l’équilibre entre facteurs financiers et extra-financiers

Publié le 8 décembre 2022 à 11h58

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

La théorie financière de l’équilibre des prix des marchés financiers s’enrichit désormais de l’approche ESG, dont elle montre l’impact sur les exigences de rentabilité

CAPM (pour Capital Asset Pricing Model) est un sigle bien connu des étudiants en finance et des professionnels qui en utilisent les concepts, comme le bêta, ou certaines des innovations en découlant, comme les fonds indiciels. La théorie financière des années 1970 a en effet formalisé l’équilibre des prix des marchés financiers au travers d’un cadre qui a valu à ses inventeurs Harry Markowitz et son étudiant d’alors, William Sharpe, le Prix Nobel d’Economie. Mais cet équilibre strictement financier ne serait-il pas en train de devenir caduc en raison de l’influence grandissante d’investisseurs responsables qui considèrent des critères extra-financiers en sus des critères classiques du CAPM ?

Dans la nouvelle théorie S-CAPM (Sustainable - Capital Asset Pricing Model) qu’il propose, David Zerbib vise à intégrer dans l’équilibre des prix des actions les considérations apparues progressivement en matière d’exclusion de certains secteurs et d’inclusion de critères ESG par les investisseurs. Partant des mêmes hypothèses que celles du CAPM, il y ajoute une hétérogénéité des investisseurs répartis en responsables, classiques et excluants, dont il suppose connues les proportions. En outre, les préférences ESG se trouvent précisées dans une pénalité ajoutée aux attentes de rentabilité pour les firmes ne répondant pas aux attentes ESG. Ce cadre théorique est appliqué aux actions américaines pendant la période de 1999 à 2019 et en s’appuyant sur les allocations des fonds « verts » ainsi que leur poids relatif grandissant au fil des ans.

Une comparaison des effets financiers et non financiers

Les résultats théoriques ne contredisent pas l’approche classique mais la complètent : dans ce cadre nouveau, les rentabilités attendues des titres dépendent toujours de la prime de risque, à laquelle s’ajoutent désormais une prime de préférence et une prime d’exclusion. Ces deux nouvelles primes résultent des préférences des investisseurs responsables et des exclusions qu’ils pratiquent. Appliquées au marché américain les primes de préférence vont de +0,12 % pour les secteurs les moins désirables (par exemple le secteur du charbon) à -0,40 % pour les plus recherchées (le secteur de la construction électrique par exemple). En matière d’exclusion, l’étude s’est concentrée sur les valeurs décriées (secteurs des tabacs, jeux, etc.) et montre que leurs rentabilités attendues doivent être augmentées de 1,43 % sur la période considérée pour compenser leur moindre attractivité. L’analyse empirique montre également que les primes de préférences ont augmenté avec le temps traduisant la croissance de l’investissement responsable pendant la période.

Cette analyse novatrice montre toute la flexibilité dont peut faire preuve une théorie pour autant que l’on en adapte les hypothèses. Les modèles utilisés avaient d’ailleurs été déjà conçus par d’autres chercheurs qui avaient tenté de modéliser d’autres phénomènes. L’intérêt de l’approche réside dans le fait qu’il devient possible de comparer les effets financiers et non financiers ainsi que de comparer plusieurs marchés financiers, et plusieurs périodes.

Il apparaît ainsi que même sur le marché américain, loin d’être le plus avancé en la matière, l’influence grandissante des considérations ESG peut peser de l’ordre d’un demi-point de rentabilité, soit 10 % de la prime de risque, ce qui n’est pas négligeable. La prime d’exclusion est même trois fois plus élevée. On peut être légitimement impatient de lire les résultats d’une telle approche sur des données européennes. Quelle est l’équilibre entre considérations financières et non financières, le rapport des deux est-il supérieur à 10 % ? Certes, les choix de mesure des préférences des investisseurs responsables sont discutables, et pourraient être adaptés à chaque marché, mais ils ont le mérite d’être objectifs. Il est sans doute désormais plus critiquable de s’en tenir au seul CAPM que d’ignorer l’influence croissante et conséquente des investisseurs responsables. 

Mots clés ESG
Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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