Avoir un dirigeant décoré de la Légion d’honneur : une bonne nouvelle pour l’entreprise ?

Publié le 19 juillet 2024 à 13h01

François Belot et Timothée Waxin    Temps de lecture 5 minutes

Pour une entreprise, mieux vaut avoir un dirigeant récompensé par la Légion d’honneur que par les médias, souligne une récente étude.

Parmi les 521 personnes figurant dans la dernière promotion de la Légion d’honneur (parue au Journal officiel du 9 juillet 2024), on trouve Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde (nommé au grade de Chevalier) et Olivier Roussat, directeur général de Bouygues (promu au grade d’Officier). La distinction de personnalités issues du monde économique n’est en aucun cas une nouveauté puisqu’environ la moitié des dirigeants opérationnels du SBF 120 sont membres de l’Ordre national de la Légion d’honneur. Une telle récompense extérieure (par opposition au système de promotion et de rémunération propre à l’entreprise) modifie le statut du dirigeant et sa perception par les parties prenantes de l’entreprise (et la société au sens large). Mais comment les investisseurs réagissent-ils à ces promotions ? Se traduisent-elles par une modification des performances et de l’organisation des firmes concernées ?

Si l’impact financier des reconnaissances étatiques n’est que peu documenté, un point de comparaison intéressant est celui des récompenses médiatiques (par exemple le titre « Best Manager » du magazine Business Week) qui ont fait l’objet d’une abondante littérature. Les conclusions sont sans appel : les firmes concernées voient leurs performances opérationnelles et financières s’amenuiser, et ce en raison d’effets de « distraction » (les dirigeants récompensés vont par exemple préférer rédiger leurs mémoires plutôt que se consacrer à la gestion opérationnelle) et d’« extraction » (ils voient leurs rémunérations augmenter, sans lien avec la performance). En outre, ces « superstar CEOs » sont moins fréquemment remis en question par leur conseil et leurs actionnaires. Du point de vue de la gouvernance d’entreprise, la reconnaissance médiatique répond ainsi finalement à une logique de « malédiction du vainqueur ». Un tel phénomène s’applique-t-il également aux distinctions étatiques ?

Notre article récemment publié dans le Journal of Business Finance & Accounting1 apporte une réponse à ces différentes questions. Il repose sur un échantillon de 240 firmes entrant dans la composition de l’indice SBF 120 sur la période 1998-2019. Nous analysons, dans un premier volet de l’étude, la réaction de court terme du marché (mesurée par la rentabilité dite « anormale » sur une fenêtre de trois jours entourant la publication au Journal officiel). La nomination au grade de Chevalier entraîne une réaction positive et significative de 0,61 % (soit une hausse moyenne de la capitalisation boursière de 66 millions d’euros). A l’inverse, les promotions ultérieures (par exemple du grade d’Officier à celui de Commandeur) ne sont associées à aucune évolution significative. C’est donc l’entrée dans l’ordre de la Légion d’honneur qui semble apporter une information importante aux investisseurs. Des tests relatifs à la valorisation de l’entreprise (appréhendée par le ratio entre valeur de marché et valeur de remplacement des actifs – le Q de Tobin) confirment la réaction de court terme : une firme dont le dirigeant est décoré présente un Q de Tobin significativement plus élevé de 6 %. Cet effet est cependant temporaire et limité à l’année de décoration.

«Au-delà d’un renforcement des liens avec l’Etat, la décoration entraînerait, contrairement aux récompenses médiatiques, une amélioration de la gouvernance»

Un second volet de l’étude se fixe pour objectif d’identifier les mécanismes pouvant justifier l’appréciation positive des investisseurs. Partant du constat bien établi qu’une récompense (quel que soit son type) instaure une relation particulière entre le récipiendaire et l’entité qui la décerne, l’étude vise à mesurer un éventuel accroissement de la « proximité » entre l’entreprise et l’Etat à la suite de la décoration de son dirigeant. Il apparaît alors que les dirigeants décorés ont une probabilité plus forte d’accompagner le Président de la République lors de ses déplacements à l’étranger, d’être auditionnés par le Parlement, de rencontrer le ministre de l’Economie et des Finances ou encore d’accueillir un haut représentant de l’Etat pour la visite d’un site de l’entreprise. En outre, les firmes dont les dirigeants sont décorés sont plus susceptibles de remporter des marchés publics.

Au-delà d’un renforcement des liens avec l’Etat, l’article défend également l’idée d’une amélioration de la gouvernance. Il apparaît en effet que les dirigeants décorés ont une probabilité plus élevée d’être remerciés en cas de mauvaises performances de leur entreprise. Contrairement aux résultats documentés pour les récompenses médiatiques, nous n’observons pas d’augmentation significative des rémunérations ou du nombre de mandats externes d’administrateurs. Comment expliquer l’impact différencié de ces deux types de récompenses ? L’explication tient sûrement à une spécificité de la Légion d’honneur. A la différence d’une récompense médiatique, celle-ci peut être suspendue voire retirée en cas de mauvaise conduite. Les résultats de notre article suggèrent qu’une telle menace induit un comportement plus responsable des récipiendaires.

1. Belot, F., & Waxin, T. (2024). Government awards to CEOs. Journal of Business Finance and Accounting, pages 1-39. Article en libre accès consultable à l’adresse doi.org/10.1111/jbfa.12813.

François Belot et Timothée Waxin

François Belot est professeur des universités à l'Université Paris-Dauphine, et Timothée Waxin est associate professor chez EMLV Business School

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