L'analyse de Jean-François Boulier
Divergence de ratings ESG, causes et conséquences
Les divergences de rating extra-financier entre les différentes agences sont patentes, témoignant d’une mauvaise appréhension des dimensions extra-financières. L’analyse factorielle qui s’est beaucoup développée en matière de placement en actions pourra peut-être trouver là un nouveau terrain d’application.
L’investissement responsable est devenu une aspiration majeure des institutionnels, notamment depuis la grande crise des subprimes. Les pratiques ont notablement évolué depuis l’exclusion, qui était dominante à l’origine, vers des process de sélection beaucoup plus élaborés et sans cesse en progression. Des agences de rating sont venues apporter leur aide aux asset managers ou aux investisseurs en proposant des services d’évaluation des émetteurs sur les trois composantes extra-financières que sont l’environnement, l’impact sociétal et la gouvernance. Dans ce marché en développement depuis une vingtaine d’années et évalué à quelque 500 millions de dollars annuels, plusieurs offres sont en compétition, parfois en complément de ratings financiers classiques. Avec un recul de plus de 10 ans, que peut-on dire des similitudes et différences des ratings et de leurs impacts sur les performances ?
Dans un article récent intitulé « Diverging ESG scores » trois chercheurs anglais analysent l’information disponible sur les services de rating extra-financiers et les conséquences en termes de performances sur les marchés développés, en particulier sur le marché américain. Comme le titre de l’article l’indique, les divergences de ratings entre trois agences (S&P, FTSE et Sustainalytics) sont patentes. Les correspondances, point à point, entre les deux premiers sur une douzaine de secteurs à une date donnée, remplissent pratiquement tout un carré, c’est dire s’ils sont peu corrélés ! Les corrélations moyennes entre scores agrégés sont de l’ordre de 45 %, les deux premières agences étant plus corrélées entre elles que la dernière mais surtout les écarts entre les trois critères peuvent varier considérablement : les corrélations moyennes sont de l’ordre de 70 % pour l’environnement, de 50 % pour les aspects sociétaires mais pratiquement nulles pour la gouvernance ! Les auteurs attribuent ces divergences principalement à quatre facteurs : les données utilisées, les critères retenus, le traitement des données manquantes et enfin les pondérations entre les critères qui peuvent être très variables.
Une différence de performance infime entre fonds classiques et ESG
De nombreuses études au cours des dernières décennies ont tenté de déceler l’écart de performance entre des fonds ou des indices classiques ou ESG. Les auteurs en ont recensé plus de 2 500 et de nombreuses études ont tenté d’en faire des synthèses. Il existe même des synthèses de ces synthèses ! Au total, la différence de performance qui pouvait être sensible au tout début du siècle n’est pratiquement pas perceptible, ni en surperformance ni en sous-performance. Les auteurs attribuent cette évolution à l’intégration progressive de certains facteurs dans les prix, de tous les titres pour le thème de la gouvernance, notamment aux Etats-Unis après les affaires Enron et WorldCom, et à la prise en compte de la dévalorisation de certains actifs comme les réserves d’hydrocarbures. Selon eux, les marchés ont, en grande partie, intégré ces préoccupations, et le coût ou l’avantage en performance d’une politique d’investissement responsable est peu important, en tout cas pas significatif statistiquement sur le marché américain. Néanmoins, quelques études ont pu montrer qu’il existait une meilleure performance comptable, certes modeste, des émetteurs les plus engagés dans une politique d’entreprise responsable. Il y aurait donc outre-Atlantique une certaine cohérence financière à la prise en compte vertueuse des composantes extra-financières.
Les dimensions extra-financières encore mal appréhendées
Cet article, comme beaucoup d’autres, montre que les dimensions extra-financières sont encore mal appréhendées et que les efforts de compréhension, de mesure et d’impact méritent d’être poursuivis. Le « bruit » des autres facteurs, strictement financiers, semble dominer les facteurs extra-financiers dans les prix et les performances. Mais, s’il y a encore beaucoup de confusion, notamment entre les scores ESG fournis par les agences, comment savoir quels sont les portefeuilles effectivement ESG et comment ensuite mesurer leurs écarts de performance avec ceux qui ne le seraient pas ? L’analyse factorielle qui s’est beaucoup développée en matière de placement en actions pourra peut-être trouver là un nouveau terrain d’application. Il reste qu’au fond, puisque l’impact est faible en matière de performance, il n’y a guère de raisons de ne pas suivre une politique plus respectueuse des critères ESG, quels qu’ils soient.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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