Fait-il bon travailler dans les entreprises familiales ?
Les relations sociales dans les entreprises familiales diffèrent-elles de celles des ? Le cas échéant, comment expliquer les écarts éventuels de rémunération, de sécurité de l’emploi ou encore de qualité de vie au travail observés selon l’actionnariat de l’entreprise ? Trois grands arguments peuvent être mis en avant. Tout d’abord, salariés et actionnaires familiaux partagent une forte exposition au risque spécifique de l’entreprise, au contraire d’investisseurs institutionnels qui peuvent l’éliminer grâce à la diversification. Du fait de leur investissement en capital humain, les salariés sont très exposés aux aléas subis par l’entreprise au cours des cycles économiques. Puisqu’ils détiennent une part généralement importante du capital, les actionnaires familiaux ont quant à eux un patrimoine imparfaitement diversifié et sont, par conséquent, enclins à privilégier une stratégie d’entreprise prudente (en particulier des acquisitions de diversification), réduisant ainsi le risque de faillite. Cela bénéficie aux salariés qui font face à un risque de perte d’emploi moindre.
Une deuxième explication relève de l’existence d’un « contrat implicite » entre les actionnaires familiaux et les salariés réticents à prendre des risques. Ces derniers accepteraient de moindres rémunérations contre l’assurance d’une plus grande sécurité de l’emploi. Mais puisqu’un tel engagement de long terme est difficilement formalisable par écrit (d’où le mot « implicite »), il risque d’être remis en cause par une partie prenante opportuniste (par exemple un nouvel actionnaire prenant le contrôle). Dès lors, le contrat ne pourra être accepté que si le management de l’entreprise est jugé suffisamment crédible par les salariés. Deux spécificités de l’actionnaire familial sont susceptibles de les convaincre. D’une part, il est investi à long terme puisque motivé par la transmission aux générations ultérieures. D’autre part, la firme familiale est généralement à l’abri des prises de contrôle hostiles. Le profil sécurité de l’emploi/salaires serait donc différent dans les entreprises familiales.
La troisième explication a trait aux « valeurs familiales » : les actionnaires familiaux ne seraient pas mus par le seul objectif de maximisation du cours de Bourse mais rechercheraient d’autres avantages non pécuniaires, tels que le prestige associé au contrôle, la visibilité au sein d’une communauté ou encore la perpétuation de l’héritage familial. Dans ce contexte, on peut penser qu’un dirigeant familial sera a priori moins enclin à engager son entreprise dans des stratégies susceptibles de dégrader les relations avec sa force de travail qu’un dirigeant professionnel jugé à l’aune de ses seules performances financières.
«Les entreprises familiales semblent être caractérisées par une plus grande stabilité de l’emploi, une rémunération inférieure et des relations sociales de meilleure qualité que leurs homologues non familiales.»
Ces trois arguments suggèrent que les entreprises familiales seront caractérisées par une plus grande stabilité de l’emploi, une rémunération inférieure et des relations sociales de meilleure qualité que leurs homologues non familiales. Plusieurs études internationales montrent que, toutes choses égales par ailleurs, la part des CDI est plus importante et les licenciements sont moins fréquents dans les entreprises familiales. En contrepartie, les salaires y sont en moyenne un peu inférieurs. Mais ces écarts de rémunération ne sont pas uniformément répartis au sein de l’effectif salarié. Ils sont en effet plus élevés pour les cadres dirigeants, particulièrement dans les plus grandes entreprises et celles qui sont cotées, mais ne sont pas significatifs pour les salariés les moins qualifiés. Ces résultats peuvent en partie être expliqués par des structures organisationnelles différentes. Les entreprises familiales de première génération sont notamment très centralisées, avec un nombre limité de managers rapportant au dirigeant-fondateur. Une recherche menée sur toutes les entreprises italiennes établit que les entreprises familiales ont plus de deux fois moins de cadres dirigeants et quatre fois moins de cadres intermédiaires que leurs homologues non familiales.
Des études reposant sur des données d’enquêtes (collectées sur des plateformes d’évaluation des pratiques sociales telles que glassdoor.com) dans plusieurs pays montrent que les salariés expriment une plus grande satisfaction au travail dans les entreprises familiales. De plus, ces dernières se caractérisent par moins d’absentéisme et moins de grèves. On peut supposer que les différences organisationnelles des entreprises familiales permettent des circuits de décision plus courts, une plus grande agilité et, comme évoqué ci-dessus, de moindres inégalités salariales. Autant de raisons qui, combinées à la plus grande sécurité de l’emploi, peuvent contribuer à expliquer la plus grande satisfaction des salariés des entreprises familiales et la moindre conflictualité observées.