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Génération Z : les paradoxes de l’investissement responsable
Moins les étudiants disposent de connaissances financières, plus ils se prononcent clairement en faveur de l’investissement responsable, selon une étude menée en France. Ce comportement pourrait être lié à une sensibilité à l’air du temps ou à des raisons plus personnelles, comme le manque d’argent et le rejet de la sphère financière.
Les études supérieures sont, pour les étudiants, un moment de grande ouverture et de confrontation au monde. C’est rarement, sauf pour quelques heureux héritiers, le début d’une expérience de placement financier. Pourtant, comme les générations qui se suivent ne se ressemblent pas tout à fait, il paraît utile de sonder les connaissances et les comportements d’investissement des futurs épargnants. Les technologies ont profondément modifié les comportements d’achat de la génération Z dont plus d’une moitié réalise ses commandes en ligne. Leur appétit pour une nourriture bio et l’engagement de certains pour la transition climatique sont également bien repérés. Qu’en est-il de leur envie d’investir et plus précisément d’investir de façon responsable ?
Dans son article « Are Z Generation young people potential investors in sustainable finance ? » , présenté récemment aux « Entretiens de la finance durable » en décembre 2023, Nadège Pestre analyse les connaissances et motivations financières des étudiants de moins de 27 ans de l’université de Lorraine au travers d’une enquête conduite en mars de l’année 2022.
Ayant élaboré 16 questions personnelles, 21 questions relatives à la finance et 22 concernant l’investissement durable ; elle a envoyé 47 000 questionnaires aux étudiants et a reçu environ 2 500 réponses. Après un tri relatif à la complétude et à la qualité des réponses, elle étudie plus de 900 réponses à ses questions et livre une classification de la population retenue en s’appuyant sur des outils d’analyse statistique des données.
Trois groupes d’étudiants
Trois groupes d’étudiants émergent au terme de ses travaux : un premier groupe, d’environ 150 individus, a de bonnes connaissances financières et une motivation d’investisseur durable plutôt moyenne. Un deuxième d’environ 250 individus a, lui, une connaissance financière plutôt moyenne et un appétit pour l’investissement très faible. Enfin, le troisième, de loin le plus nombreux avec plus de 500 individus, présente des connaissances financières faibles et un appétit pour l’investissement durable fort. Au total sur l’ensemble des réponses, trois quarts des individus ont des connaissances financières médiocres et trois quarts ont des motivations d’investisseurs responsables fortes.
Ces résultats se confirment sur d’autres populations et d’autres travaux conduits par plusieurs chercheurs s’intéressant aux épargnants : il semble qu’il y ait une certaine forme d’opposition entre connaissances financières et l’intérêt pour les aspects extra-financiers, comme une précédente chronique l’indiquait déjà (« Que savons-nous des préférences ESG des investisseurs particuliers ? », octobre 2022). Il serait très utile de mieux comprendre cet antagonisme et ses causes. S’agit-il de problématiques de connaissances, de désintérêt pour les questions financières et d’une sensibilité aux tendances fortes du moment ou plutôt des raisons plus personnelles et comportementales, comme le manque d’argent et le rejet de la matière financière, s’ajoutant à un enthousiasme pour les questions environnementales ? Les aspects sociaux, notamment familiaux, seraient intéressants à creuser de même que les opinions politiques.
La prise en compte de ces questions par la théorie financière reste, à ce jour, exsangue ; le sujet mérite un approfondissement de la modélisation de la fonction d’utilité individuelle, comme celle classique de la théorie moderne du portefeuille, et l’inclusion des interactions sociales. En outre, la plupart des cadres proposés considèrent des comportements homogènes. Quand bien même le mimétisme pourrait atténuer les différences, cette enquête illustre bien l’hétérogénéité des attitudes face à l’investissement. Ces attitudes peuvent-elles évoluer avec le temps, avec l’expérience ou l’aisance financière ? Le groupe retenu ne saurait à lui seul représenter la diversité de population, aussi serait-il opportun de considérer des générations plus complètes. Le renouveau d’une forme de service national ne serait-il pas, par exemple, l’occasion de conduire de telles investigations ?
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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