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Gérer dans le temps long
Beaucoup d’investisseurs gèrent les actions dans un cadre de court terme, en intégrant au fur et à mesure les informations économiques et financières. Opter pour un horizon plus long peut permettre d’obtenir une performance supérieure.
Gérer sur une longue période revient-il à une succession de gestions à plus court terme ? Si oui, l’estimation des risques, rentabilités et contraintes sur des horizons courts suffit. Sinon, la dynamique des performances des actifs et leurs risques doivent être appréhendés sur l’horizon entier de gestion. En outre, modifier constamment la composition d’un portefeuille n’est pas sans conséquences sur les coûts de transactions qui peuvent éroder sérieusement les performances nettes du portefeuille. Ces coûts de transactions étant eux-mêmes variables, plutôt plus élevés en période de marchés agités, notamment quand il s’agit des impacts des ordres sur les cours, qu’en est-il de la dynamique d’évolution du portefeuille ?
Dans leur article intitulé « Liquidity Regimes and the Optimal Dynamic Asset Allocation », trois chercheurs comparent les stratégies statiques (succession d’horizons courts) et dynamiques (prise en compte de la dynamique de long terme) de composition de portefeuille, tant du point de vue théorique que pratique, en l’appliquant à un exemple de portefeuille diversifié d’actions américaines. Ils retiennent une description selon différentes phases de marché (calme, turbulent, etc.) à partir d’une analyse économétrique sur une soixantaine d’années. Ils y ajoutent une description des coûts de transactions (dont les impacts des ordres), quasiment proportionnels à la volatilité des cours.
Deux fois mieux pour la stratégie dynamique
Forts de résultats théoriques déjà connus sur l’optimisation de portefeuille (dans le cas de fonction d’utilité linéaire quadratique), ils montrent que l’optimum de l’utilité financière ne correspond pas à une succession d’optimisations statiques mais au contraire à une gestion visant un objectif de moyen terme, en effectuant des transactions lentement. Autrement dit, l’allocation diffère d’une allocation d’horizon court et le taux de rotation du portefeuille est lui-même ralenti par rapport à une succession d’allocations statiques.
Les chercheurs comparent les résultats de différentes stratégies. Sans prendre en compte les coûts de transactions d’un portefeuille diversifié d’actions, sur l’ensemble de la période de 1967 à 2017, la stratégie dynamique fait environ deux fois mieux (en termes de richesse accumulée) que la succession d’optimisations statiques, et ce, pour un niveau de risque comparable. C’est à peu près trois fois mieux en déduisant les coûts de transactions. Ces résultats ne sont pas significativement modifiés lorsque les simulations sont conduites sans connaître le modèle d’évolution du marché sur l’ensemble de la période. Les comparaisons entre cette stratégie dynamique et l’allocation constante sur la période sont aussi nettement en faveur de la stratégie dynamique.
Certes, il est plus simple de retenir un cadre de court terme et de répéter les optimisations régulièrement en modifiant la composition du portefeuille au fur et à mesure que parvient l’information économique et financière. C’est ce que pratiquent beaucoup d’investisseurs professionnels. D’ailleurs sous hypothèse d’efficience informationnelle du marché, les investisseurs n’ont guère intérêt à se hasarder à prévoir le futur, prétendument intégré par le marché. Pourtant, comme le montre cette étude (même si elle peut s’avérer être délicate à mettre en œuvre) la gestion sur un horizon long gagne à être conduite en prenant en considération l’évolution future potentielle des prix et des coûts de transactions, bien que l’on ne sache pas les prévoir avec précision.
Ces pratiques de gestion de long terme sont d’ailleurs bien connues de certains investisseurs institutionnels dont les stratégies sont volontiers à contre-courant. Achetant lorsque le coût de la liquidité des titres n’est pas trop élevé et vendant quand il l’est. Mais aussi, et plus fondamentalement, en évitant de se focaliser sur les évolutions à court terme et en risquant d’anticiper, au risque de se tromper, sur la correction future des exagérations dont les marchés sont coutumiers. Il serait très utile d’envisager une analyse similaire sur les marchés européens. Investir reste un art difficile à mettre en équations, mais comme nous le montre cet article, des outils formalisés mis en œuvre de manière disciplinée permettent effectivement d’apporter de très substantielles surperformances, de l’ordre de 1 à 2 % par an dans l’illustration présentée.
« Liquidity Regimes and the Optimal Dynamic Asset Allocation », Pierre Collin-Dufresne, Kent Daniel et Mehmet Saglam, The Journal of Financial Economics 136 (2020) p. 379-406.
Cet article a reçu le prix Inquire Europe 2019.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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