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Gestion de fonds : se distinguer pour être performant ?
Très décriée par la gestion indicielle, la gestion active n’a pas dit son dernier mot : les fonds européens qui savent se distinguer par leur stratégie affichent des performances au-dessus du lot.
L’industrie des fonds mutuels se porte bien depuis de nombreuses années, et ce des deux côtés de l’Atlantique, à en juger par la taille et le nombre des véhicules distribués. Comment se démarquer des autres dans de tels univers concurrentiels, et le fait de jouer la différence avec les autres s’avère-t-il payant ? Les adeptes des fonds indiciels répondent évidemment non à cette dernière question et tentent d’apporter d’autres services et se battent sur les coûts de gestion. Pourtant, pour les gérants les plus nombreux, qui modifient activement leur portefeuille, la question est de première importance : a-t-on plus de chances de faire mieux que les autres si l’on est différent d’eux ?
Dans un article intitulé « Making a Difference : European Mutual Funds Distinctiveness and Peers’ Performance »*, trois chercheurs belges analysent l’offre européenne de fonds sur la période de 1999 à 2016. Ils s’intéressent après quelques filtres à 4 957 fonds, représentant plus de mille milliards d’euros d’encours, en considérant leurs performances relatives à celles de leurs pairs ainsi qu’à leur degré de différenciation. Plutôt que de se fier aux caractéristiques affichées par les fonds, ces chercheurs déterminent statistiquement plusieurs « clusters », ensembles de fonds ayant des performances similaires sur une période donnée. Ces clusters peuvent être très grands, jusqu’à englober plus de 40 % des fonds étudiés, mais aussi être beaucoup plus petits et correspondre à moins de 1 % de la population. Chaque fonds, pour un mois donné, est rapproché du cluster auquel il s’apparente le plus et sa performance est comparée à la moyenne du cluster. Son degré de différenciation est mesuré par 1 moins la corrélation de sa performance avec cette performance moyenne du cluster : autrement dit, il est pareil au cluster si la corrélation vaut 1 et il est très différent si la corrélation est nulle.
Une performance meilleure pour les fonds jeunes de petite taille
Les résultats obtenus par les chercheurs montrent très clairement que, sur cette période de 17 ans, plus le degré de différenciation est grand, plus grande est la performance relative. La surperformance augmente en moyenne de 0,14 % par mois pour un ajout de 0,12 de degré de différenciation. Mais l’effet n’est pas linéaire car les chercheurs remarquent que cette surperformance augmente moins vite quand la différenciation augmente. Ils étudient les caractéristiques pouvant influencer ce phénomène et remarquent que cette surperformance diminue avec la taille du fonds et son âge. Les chances de surperformance sont en outre plus grandes si la performance du cluster est faible et si le cluster est plus grand. En outre, ils étudient les déterminants de la différenciation sur cette période et trouvent que les fonds les plus petits, les plus jeunes et dont les performances sont les plus volatiles ont plus de chances d’être différents au sein d’un même cluster.
On ne sera pas étonné que pour battre les concurrents, il faille être différent : il faut avoir joué pour avoir gagné ! Pourtant, le fait qu’en moyenne être différent soit payant n’était pas évident, car tous les joueurs ne peuvent pas gagner... Le fait que cette différenciation ne soit efficace qu’à petite dose est aussi révélateur du degré de compétition, les fonds œuvrent en mode régate plus qu’en course au long cours. Les stratégies innovantes sont en outre le fait de nouveaux venus (qui peuvent être dans de grands ensembles d’ailleurs) et qui sont de plus petite taille. Les grands fonds connus des investisseurs, qui ont fait leur preuve en termes de performance, peuvent se payer le luxe d’être, avec l’âge et les encours, un peu moins performants.
Malheureusement, être différent ne suffit pas ! La question du comment est évidemment plus importante que celle du combien. L’article, qui s’intéresse aux performances nettes, n’indique d’ailleurs pas quelle est l’influence des coûts de gestion. Elle ne dit pas si les performances moyennes des clusters sont au-dessus de leur indice le plus proche. Mais au total, dans un marché mûr, l’innovation paye. Et suivre le peloton ne mène pas bien loin !
* Sophie Béreau, Jean-Yves Gnabo, Henri Vanhomwegen, « Making a difference : European Mutual Funds Distinctiveness and Peers’ Performance », Revue Finance, 2020.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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