Influence des performances sociales et environnementales sur le coût du capital

Publié le 24 juillet 2024 à 11h00

Stéphane Ballanger et Emmanuel Millard    Temps de lecture 5 minutes

Dans le contexte économique contemporain, l’impact des performances sociales et environnementales des entreprises (corporate social performance, CSP) sur la détermination du coût du capital revêt une importance croissante. Nous nous proposons d’examiner les relations complexes entre la CSP, le coût des fonds propres et le coût de la dette, tout en prenant en considération les facteurs exogènes et des implications politiques qui en découlent. Ces réflexions s’avèrent cruciales pour les professionnels de la finance cherchant à appréhender l’influence de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sur les décisions d’investissement et de financement.

Il convient tout d’abord de souligner que les conditions macroéconomiques et institutionnelles prévalant au niveau national exercent une influence déterminante sur la dynamique entre la CSP et le coût du capital. L’orientation des parties prenantes, la transparence financière, la protection des investisseurs et l’engagement envers la RSE sont autant de facteurs qui modulent cette relation. A titre illustratif, une transparence financière accrue et une protection efficace des investisseurs sont susceptibles d’améliorer la perception de ceux-ci quant à la CSP d’une entreprise, se traduisant éventuellement par une réduction du coût du capital.

Par ailleurs, l’appartenance sectorielle joue un rôle prépondérant dans cette relation. Les entreprises opérant dans des secteurs à forte intensité d’émissions, tels que les industries manufacturières ou extractives, bénéficient généralement d’une réduction plus significative du coût du capital lorsqu’elles améliorent leur performance CSP. Ce phénomène s’explique par la valorisation accrue des efforts en matière de RSE dans ces industries, compte tenu de leur impact environnemental potentiellement élevé.

Une large revue des études empiriques révèle un effet différencié de la communication des performances ESG sur le coût du capital. Les analyses tendent à démontrer que la performance ESG (environnementale, sociale et de gouvernance) devrait théoriquement réduire le coût de la dette. Les créanciers, percevant les entreprises performantes en matière d’ESG comme présentant un profil de risque moindre et une durabilité accrue à long terme, seraient enclins à leur octroyer des conditions de financement plus avantageuses. Cette réduction du coût de la dette refléterait la diminution perçue du risque de défaut et de la volatilité financière. Cependant cette assertion n’est pas systématiquement corroborée par les observations empiriques.

«Si la performance ESG devrait théoriquement réduire le coût de la dette, cette assertion n’est pas systématiquement corroborée par les observations empiriques.»

Paradoxalement, les investisseurs en actions tendent à considérer la performance ESG comme un facteur de risque accru, entraînant un coût des fonds propres plus élevé. Cette perception peut s’expliquer par l’appréhension que les investissements ESG puissent détourner des ressources des activités principales de l’entreprise ou engendrer des coûts supplémentaires liés à la mise en œuvre de pratiques durables.

Il convient en outre de noter que les effets des différents piliers ESG ne sont pas homogènes sur le comportement des investisseurs selon leur nature. Les créanciers valorisent une performance supérieure sur chaque pilier ESG séparément, y percevant des indicateurs de stabilité et de gestion proactive des risques. En revanche, les investisseurs en actions semblent pénaliser les entreprises pour leurs performances environnementales et sociales, tout en demeurant relativement indifférents à la gouvernance.

Face à ces divergences de perception, l’établissement de normes ESG transparentes et universelles s’avère impératif. Tandis que les entreprises européennes sont déjà guidées par les ESRS, offrant une structure claire et détaillée pour la communication des informations ESG, les entreprises non européennes bénéficieraient grandement de l’adoption de normes similaires. Une telle normalisation permettrait de distinguer clairement les entreprises performantes de celles qui ne le sont pas, facilitant ainsi les décisions d’investissement et de financement. Le rôle des pouvoirs publics apparaît central dans ce contexte. Les autorités publiques pourraient envisager l’introduction d’incitations fiscales ou d’autres avantages financiers pour les entreprises performantes en matière d’ESG, afin d’attirer l’attention des investisseurs en actions. Parallèlement, l’instauration de réglementations plus strictes pour pénaliser les entreprises sous-performantes ou moins performantes pourrait inciter les investisseurs en actions à offrir des capitaux propres à un taux de rendement inférieur pour les entreprises présentant de bons scores ESG.

Néanmoins, il convient de souligner les limitations méthodologiques inhérentes à cette problématique. La variabilité des données ESG entre différents fournisseurs de données tels que les agences de notation internationales révèle une disparité dans la compréhension de ce que mesurent réellement les critères ESG. De plus, si de nombreuses études ont été menées sur les marchés financiers des pays développés, force est de constater que celles portant sur les marchés financiers des pays émergents demeurent plus parcellaires. Il serait donc judicieux d’orienter davantage les analyses futures vers l’étude de ces marchés émergents, dont le rôle environnemental et économique est en pleine expansion.

Dès lors, il est impératif, pour les professionnels de la finance, d’intégrer dans leur examen le fait que la performance ESG d’une entreprise peut constituer un indicateur précieux de sa stabilité et de sa gestion des risques. L’adoption de normes ESG universelles et transparentes, couplée à l’introduction d’incitations appropriées, pourrait permettre d’harmoniser les perceptions des investisseurs et de promouvoir des pratiques de financement plus durables.

Stéphane Ballanger et Emmanuel Millard

Stéphane Ballanger est commissaire aux comptes, et Emmanuel Millard est secrétaire général, chez le groupe Endrix

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