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La « Blended Finance » est-elle responsable ?

Publié le 12 septembre 2024 à 19h52

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

La « Blended Finance » ou finance mixte, mêlant capitaux publics et privés, se développe dans les pays émergents, notamment grâce à l’intervention de structures telles que la Banque mondiale. Il apparaît que les décisions d’investissement prennent bien en compte les impacts sociaux et environnementaux des projets.

De tout temps et dans de très nombreux pays, les Etats et les collectivités apportent leur soutien financier à des projets ou entreprises qui, sans eux, ne verraient pas le jour ou ne pourraient pas continuer leur activité. Certains chercheurs dénomment cette activité la « finance mixte », intervention financière ni totalement privée ni complètement publique. Les organisations internationales telles que la Banque mondiale et ses filiales régionales ou encore l’IFC (International Finance Corporation, membre du groupe Banque mondiale), qui finance des projets privés, sont amenées à intervenir, particulièrement dans les pays émergents, en choisissant des critères objectifs et mesurables. Que peut nous apprendre l’expérience récente de l’IFC sur ces critères en matière de financement responsable ?

Dans leur article récent intitulé « Blended Finance », trois chercheurs américains du NBER (National Bureau of Economic Research) s’intéressent à l’activité de financement de l’IFC en analysant les critères de sélection des projets financés et la proportion de soutien apporté. Ils y analysent les 173 projets qui ont été financés de 2017 à 2023, pour un montant moyen d’un peu plus de 100 millions d’euros, dont environ 59 % à des conditions inférieures au marché, principalement sous forme de prêts. Les pays concernés sont majoritairement situés en Afrique, puis en Asie et en Amérique latine ; les secteurs concernés sont l’agriculture, les infrastructures, mais aussi le secteur financier pour pratiquement la moitié des opérations. L’IFC estime le niveau de soutien de chaque financement en comparant le coût (marge d’intérêt ou moindre profitabilité exigée) des financements accordés aux autres financements privés apportés au projet (en moyenne de l’ordre de 40 % du financement). En outre, l’IFC finance également aux conditions de marché, ce qui permet d’analyser les différences entre les projets aidés et les autres. Les chercheurs ont en particulier considéré les impacts des projets au regard des 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU à laquelle cette organisation est rattachée.

Un soutien public croissant avec le nombre d’objectifs de développement durable

Les principaux impacts sont les objectifs innovation (9), travail décent (8), égalité des sexes (5) et climat (13). Ces aspects sociaux et environnementaux sont décisifs pour l’attribution du soutien de l’IFC et la part de soutien augmente si le nombre d’ODD augmente (3,5 ODD en moyenne pour l’attribution de financements subventionnés, contre 2 pour les financements classiques). En outre, le niveau du soutien (estimé par l’IFC en pourcentage du coût de financement) se situe en moyenne à 5 % et s’avère particulièrement associé aux ODD climat et sociaux et peu ou pas aux ODD économiques (8 et 9). Enfin, en utilisant les indices d’instabilité politique et d’opacité, produits par la Banque mondiale, les chercheurs montrent que le soutien est d’autant plus grand que l’instabilité politique et l’opacité du pays sont élevées.

Cette étude tend ainsi à montrer que les organisations internationales prennent effectivement en compte les impacts sociaux et environnementaux dans leurs décisions d’investissement et leurs attributions de subventions. C’est heureux, et ce d’autant plus que l’environnement politique et légal du pays rend le risque d’un financement par un acteur privé moins aisé en raison du risque. Il est vrai néanmoins que les chercheurs utilisent la mesure choisie par l’IFC sans en analyser la méthodologie, ce qui pourrait être utile.

L’intérêt de la quantification financière du soutien dépasse sans doute le cadre strict de la « finance mixte » et pourrait s’appliquer à d’autres situations impliquant les investisseurs ou prêteurs traditionnels. Comme les investisseurs ont pu par le passé imaginer et mettre en place des « budgets de risque », ils pourraient, à l’instar de l’IFC, suivre une forme de « budget social ou environnemental » en estimant le coût financier potentiel des investissements en comparaison des niveaux de marché. L’impact désiré par l’investisseur serait ainsi mesurable sur le plan financier, à supposer qu’il le soit sur le plan social ou environnemental.

BLENDED FINANCE

Caroline Flammer Thomas Giroux Geoffrey Heal

Working Paper 32287 www.nber.org/papers/w32287

NATIONAL BUREAU OF ECONOMIC RESEARCH, 2024

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