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Asset management : des stratégies ESG « best in class » aux impacts indésirables
Les stratégies d’investissement qui privilégient les entreprises présentant des scores ESG meilleurs que les autres, comme les «best in class» et «best in universe», ont des effets économiques indésirables : elles aboutissent à sous-investir sur les marchés émergents, alors que les entreprises concernées ont fortement besoin de financer leur transition énergétique.
Les stratégies de gestion inspirées de l’investissement responsable se sont développées il y a maintenant une bonne vingtaine d’années. Les premières idées étaient fondées sur le principe d’exclusion mais ont rapidement montré leurs limites car le renchérissement du coût du capital n’est pas toujours suffisant pour inciter les entreprises à modifier leur profil ESG. Sont ensuite apparues des stratégies privilégiant les entreprises présentant des scores ESG meilleurs que les autres avec deux principales catégories : les « best in class » privilégiant les meilleures par secteur et les « best in universe » s’affranchissant de contraintes sectorielles. Avec le recul de plusieurs années de mise en œuvre, il est utile de s’intéresser à la question de l’efficacité de ces stratégies.
Dans son récent article intitulé « Surprise! Portfolio decarbonization does not (necessarily) lead to economy decarbonization », Jérôme André, responsable des investissements de la Mutuelle Générale, analyse les résultats des stratégies privilégiant les entreprises de meilleurs scores ESG en considérant l’univers des actions de l’indice MSCI mondial, soit après suppression des 4 % d’entreprises ne publiant pas toutes les données nécessaires, plus de 8 500 titres investissables. Pour simplifier l’analyse, il considère l’intensité carbone des entreprises et leurs évolutions. Il rappelle d’abord quelques statistiques utiles : l’Amérique du Nord représente 52 % de la capitalisation, l’Europe 17 %, l’Asie développée 11 % et émergente 18 % ; en termes de secteurs, l’industrie manufacturière représente 40 %, les communications 17 %, la finance 16 %, l’automobile 8 %, les mines 5 %, l’énergie 3 %, les autres secteurs ne pesant pas chacun plus de 2 % ; les médianes sectorielles d’intensité carbone sont de l’ordre de 220 pour l’énergie, 170 pour les mines, 60 pour l’agriculture et l’eau et 110 pour les transports ; rapportés à leurs poids dans l’économie, les secteurs les plus contributeurs en termes d’émissions sont l’industrie (45 %), l’énergie (25 %), les mines (14 %), les transports et l’automobile (5 % chacun) ; en termes géographiques l’Asie émergente (la Chine et l’Inde donc) contribue pour 45 %, l’Amérique du Nord 24 %, l’Europe 16 % et l’Asie développée 12 %.
Des portefeuilles best in universe à l’intensité carbone moindre que les best in class
L’analyse porte ensuite sur les différences de performances carbone des stratégies best in class (BC) et best in universe (BU) en ne conservant par secteur que 50 % des titres ayant une intensité carbone inférieure à la médiane de chaque secteur pour la première et 50 % des titres de l’univers total ayant une intensité carbone inférieure à la médiane de l’univers pour la seconde. Afin de ne pas privilégier tel critère financier plutôt que tel autre, l’analyse retient a priori tous les portefeuilles de 200 titres tirés au hasard et satisfaisant ces critères d’émission carbone. Les résultats obtenus sont les suivants : les portefeuilles BU obtiennent en moyenne une intensité carbone six fois plus petite que la moyenne des BC. L’étude montre que l’amélioration obtenue par BU est principalement due à l’allocation sectorielle, dont la contribution à la réduction des émissions est dix fois plus élevée en moyenne que celle de BC. L’étude montre également que les deux types de stratégies diminuent considérablement les expositions des portefeuilles aux marchés émergents.
Ces résultats ne surprendront pas les experts, ni ceux qui mettent en œuvre des stratégies d’investissement responsable, mais ils ont le mérite de montrer l’ampleur du problème à résoudre. Les intentions des stratégies de surpondération sont louables mais leurs effets sectoriels peu désirables et certainement irréalistes. Comment vivre dans une économie sans un secteur énergétique en mesure d’apporter sa contribution ? De même que d’autres sous-expositions sectorielles qui, comme les exclusions, ne résolvent pas la question de la soutenabilité économique ni celle du financement de la transition des process des secteurs pollueurs. Et comme l’essentiel des émissions provient de l’Asie émergente, que penser du sous-investissement dans cette zone résultant des stratégies ? Est-ce à dire qu’il ne faut pas aider et privilégier les meilleurs ? C’est peut-être en situant l’excellence différemment, dans la transformation passée et projetée par les plans climat des entreprises, que se trouve une des clés du succès de telles stratégies. Miser sur les transitions plutôt que sur les situations acquises.
« Surprise! Portfolio decarbonization does not (necessarily) lead to economy decarbonization », Jérôme André, Entretiens de la finance durable, Paris, décembre 2024.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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