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Pour une diversification contenue des portefeuilles
La théorie du portefeuille comme les études empiriques montrent que la diversification des investissements est utile, mais jusqu’à un certain point. Contenir le nombre d’actifs s’avère plus efficace que d’inclure toutes les valeurs de l’univers d’investissement d’un portefeuille.
Y a-t-il un futur au-delà de la théorie moderne du portefeuille due à Markowitz ? La cause paraît entendue, Harry Markowitz, précurseur de l’optimisation de portefeuille, prix Nobel d’économie et malheureusement décédé en 2021, a révolutionné l’approche de l’investissement ; bien malin qui pourra en déboulonner la méthode ! Beaucoup s’y sont essayés et certains ont apporté, comme Bill Sharpe, l’un de ses élèves et disciples, des hypothèses supplémentaires qui ont fait le succès des promoteurs de gestion indicielle. Pourtant, le sujet n’est pas clos pour les professionnels, car pour mettre en pratique la méthode, il est nécessaire d’estimer les paramètres qui entrent dans la fameuse formule et, comme ces paramètres, rentabilités et risques des actifs en portefeuille, concernent le futur, les estimations ne sont pas exemptes d’erreurs. Est-ce que cela change la donne ?
Dans leur article récent « Optimal Portfolio Diversification with Parameter Uncertainty » trois chercheurs de l’Université catholique de Louvain s’emploient à caractériser les impacts des erreurs d’estimation sur les performances, les rentabilités et les risques des portefeuilles optimaux au sens de Markowitz. Ils s’attachent notamment à considérer l’influence du nombre d’actifs entrant dans le portefeuille : davantage d’actifs apporte certes plus de diversification mais augmente aussi le nombre d’estimateurs et donc l’erreur d’estimation. Leur étude considère donc du point de vue théorique et du point de vue empirique l’équilibre entre ces deux éléments évoluant en sens opposés.
Le poids des erreurs d’estimation
Leur analyse théorique s’inscrit dans un courant de recherche ouvert par Kan et Zhou en 2007 (soit 35 ans après la publication de l’article fondamental) qui ont montré l’influence de l’erreur d’estimation des rentabilités et des risques dans le cadre des hypothèses classiques de Markowitz, notamment les distributions gaussiennes indépendantes des rentabilités des actifs. Sous ces hypothèses, les erreurs d’estimation augmentent considérablement avec le nombre d’actifs, et ce, surtout en raison des estimations des rentabilités. C’est ce que confirme l’analyse récente faite sous d’autres hypothèses statistiques. De plus, les chercheurs déterminent le nombre d’actifs qui équilibre l’intérêt de la diversification et l’inconvénient de l’erreur d’estimation. Dans certains cas, ils montrent que le nombre d’actifs ne doit excéder la moitié de l’échantillon servant à estimer les paramètres. Autrement dit, avec 20 ans de données mensuelles, il n’y a guère plus de 100 valeurs, ou avec 50 ans de données annuelles pas plus de 25.
Les chercheurs mènent également une étude empirique sur des portefeuilles de valeurs américaines ayant des historiques débutant dans les années 1960. Ils cherchent à déterminer si l’application de la méthode de Markowitz, avec des données passées et sur la totalité des valeurs, donne, ex post, de meilleurs résultats que des méthodes plus parcimonieuses. De fait, les performances et risques futurs de nombreuses méthodes parcimonieuses considérées font beaucoup mieux que la méthode employée sur toutes les valeurs. Ainsi, du point de vue théorique comme du point de vue pratique, diversifier est utile, mais jusqu’à un certain point ; modérer le nombre d’actifs s’avère plus efficace que d’inclure toutes les valeurs de l’univers d’investissement.
Beaucoup de travaux ont été menés pour tenter de limiter le risque d’estimation, handicap majeur de la mise en œuvre de la théorie du portefeuille. Pourtant la simple limitation du nombre d’actifs n’a été considérée que récemment alors qu’elle est naturelle et de bon sens. Ne dit-on pas qu’il est préférable d’investir dans ce que l’on connaît ? Pour résumer, l’utilité économique d’un portefeuille est aléatoire et l’aléa ne provient pas que des actifs eux-mêmes, elle dépend de leurs poids dans le portefeuille, donc des estimateurs de ces poids. Comment n’y avoir pas pensé plus tôt ?
« Optimal Portfolio Diversification with Parameter Uncertainty ».
Rodolphe Vanderveken, Nathan Lassance, Frédéric Vrins, Congrès AFFI mai 2024.
Cet article est lauréat du prix Académique Af2i 2025.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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