
La France, une nation riche qui a tout de même besoin des capitaux étrangers pour se financer
L’état de nos finances publiques inquiète. Il convient d’y remédier mais si possible avec une réflexion de fond, en particulier sur l’avenir de notre protection sociale (retraite, santé) et de son financement, qui est au cœur des hausses de nos dépenses et dettes publiques. Mais sans paniquer, car la situation patrimoniale de la nation est loin d’être dramatique, confirmant que nous ne sommes pas la Grèce de 2009 !
D’abord, rappelons que le concept de nation est plus large que les seules administrations publiques, puisqu’il englobe aussi les autres secteurs de l’économie, à savoir les sociétés non financières, les ménages, les sociétés financières et les associations. Au-delà de la dette publique, il faut regarder les actifs détenus par les administrations publiques et leur patrimoine net des dettes, mais surtout l’état du patrimoine net des autres agents qui, eux aussi, sont constituants de la nation. Ainsi, la crise de la dette souveraine qu’a connu l’Espagne en 2012 était initiée par une dette privée du secteur des ménages, alors qu’en 2007 la dette publique de l’Espagne était de seulement 42,4 % du PIB !
Premier constat, le patrimoine net des administrations publiques est légèrement positif (même s’il faut prendre en compte le fait que tous leurs actifs ne sont pas cessibles). Deuxième constat, le patrimoine net de la nation est significativement positif, à hauteur de 18 674 milliards d’euros, soit 810 % du PIB en 2023. Troisième constat, le premier secteur en termes de patrimoine net positif est le secteur des ménages, avec un patrimoine net des dettes total positif de 14 567 milliards d’euros en 2023, soit 880 % du revenu disponible net annuel des ménages. Au-delà des épouvantails que représentent des hausses de la fiscalité assises sur le patrimoine et ses revenus, souvent jugées risquées alors que le capital est mobile, les autorités pourraient, en cas de tensions majeures sur notre taux d’intérêt souverain, mettre en place des politiques pour orienter l’épargne des ménages vers le financement de la dette publique, telles que par exemple des grands emprunts placés en direct auprès des particuliers (qui dans l’histoire ont parfois revêtu un caractère obligatoire…) ou des incitations fiscales relatives en faveur de produits investis en dette publique, comme les fonds euros d’assurance-vie. L’importance du patrimoine et de l’épargne de nos ménages est d’ailleurs mentionnée de façon récurrente par les agences de notation de notre dette publique.
«L’importance du patrimoine et de l’épargne des ménages est mentionnée de façon récurrente par les agences de notation de la dette publique.»
Nous sommes donc une nation riche, mais nous sommes tous les ans depuis 2007 importateurs de capitaux du reste du monde. Tous les ans, notre balance courante est légèrement déficitaire (-1,2 % du PIB en 2023), loin néanmoins des déficits externes abyssaux portugais et espagnols en amont de la crise des dettes souveraines (respectivement -9,4 % et -9,6 % du PIB en 2007). Cela signifie que la nation France a besoin d’importer des flux de capitaux du reste du monde malgré la capacité de financement des ménages, dont le taux d’épargne est structurellement élevé (atteignant même 18,2 % au troisième trimestre 2024 !). Nous vivons donc au-dessus de nos moyens, mais loin des proportions des pays ayant connu une franche crise de financement. Cependant, comme ce déficit externe est récurrent depuis 2007, la position extérieure qui mesure les stocks nets d’actifs détenus vis-à-vis du reste du monde est largement négative, à hauteur de 28 % du PIB. C’est indéniablement une alerte. A titre de comparaison, la position extérieure nette de la zone euro est positive, à hauteur de 7,4 % du PIB, et celle de l’Allemagne plus encore, à 70,8 % du PIB, tandis que celle des Etats-Unis est massivement négative, à hauteur de 79 % du PIB ! En détail, notre position extérieure nette hexagonale englobe un surplus en termes d’investissements directs, mais comprend un endettement net très important en titres de portefeuille, en particulier de titres publics.
Mais la zone euro vit, elle, en dessous de ses moyens, comme l’a souligné le rapport Draghi, et est une zone à excédent d’épargne. En effet, la zone a un excédent courant externe récurrent (2,4 % du PIB, 2023), ce qui en fait une zone exportatrice nette de capitaux. Cela explique la position extérieure nette fortement positive mentionnée plus haut. C’est crucial. Ainsi, l’excédent courant récurrent du Japon (2,0 % du PIB, 2023) lui permet de bénéficier des taux d’intérêt souverains très faibles malgré une dette publique de près de 240 % du PIB ! Pour le dire autrement, ce sont les Japonais qui détiennent leurs propres dettes et les financent. En France, la dette publique est détenue par les non-résidents à hauteur de 52 %, mais on omet souvent de rappeler qu’en leur sein il y a des investisseurs issus de la zone euro qui partagent avec nous la monnaie : ils en détiennent 23 % .
Ces éléments (richesse de la nation, épargne des ménages élevée, excédent d’épargne de la zone euro) expliquent en partie pourquoi, malgré une situation politique très instable et une soutenabilité de nos finances publiques menacée, nos conditions de financement ne se dégradent pas plus.
Cyril Blesson, macroéconomiste, est associé chez Pair Conseil depuis 2010 et cofondateur des « Cahiers de l’épargne ». Il est également enseignant à l’université Paris-Dauphine en magistère Banque-Finance-Assurance depuis 2004. Titulaire d’un DEA d’économie monétaire et d’une maîtrise d’économétrie, réalisés à l’université Paris-X Nanterre, il a commencé sa carrière en tant que membre de l’équipe macroéconomie zone euro de la Morgan Stanley à Londres pendant cinq ans. Il a ensuite été pendant neuf ans directeur de la macroéconomie et des services financiers au BIPE. Enfin, il a été directeur de la recherche économique de Morningstar France durant trois ans.