La restriction budgétaire doit être maniée avec précaution
A en croire un article récent du Financial Times, les ministères des Finances allemands et finlandais seraient mécontents de la manière dont la Commission surveille le respect des engagements budgétaires pris par les gouvernements européens. Au lieu de veiller à ce que les objectifs fixés soient effectivement atteints, elle se contenterait maintenant de vérifier la réalité des efforts faits pour les atteindre. D’où une place accrue donnée au «subjectivisme» et le risque d’amoindrir la portée des règles récemment introduites pour renforcer la discipline budgétaire…
Arrivant à un moment où beaucoup considèrent passé le pire de la crise, cette critique, motivée semble-t-il par une trop grande complaisance de la Commission à l’égard de la France et de l’Italie, ne doit pas être prise à la légère : elle vient rappeler que les gouvernements de la zone euro continuent de ne pas partager les mêmes priorités. Pourtant, la leçon des enchaînements intervenus depuis début 2010 est claire. Au lendemain de la grande crise financière, l’activité des économies développées, après avoir profondément baissé, a partout rebondi. Aux Etats-Unis comme en Europe, la croissance, tirée par les exportations, a repris suffisamment pour que l’investissement des entreprises redémarre à son tour. A partir de la fin 2011, cette reprise a toutefois, en Europe, tourné court. Que s’est-il passé ?
Alors que les effets sur l’activité de la restriction brutale engagée en Grèce, en Irlande et au Portugal étaient pourtant déjà patents, l’Italie et l’Espagne ont décidé d’accélérer fortement le rythme de leur rééquilibrage budgétaire. Le moment de cette accélération était particulièrement malvenu : elle s’est produite alors même que le commerce mondial cessait de progresser. Confrontées à une demande intérieure déprimée par la restriction budgétaire et à une demande extérieure stagnante, les entreprises européennes n’avaient guère le choix : elles ne pouvaient que réduire leurs efforts d’investissement. Privées de tout moteur, les économies de la zone euro sont alors retombées en récession. On discutera longtemps pour savoir si cet enchaînement était ou non évitable et si le surcroît d’austérité décidé en 2011 a répondu à la pression des marchés ou à celle de Bruxelles…
Ce qui est sûr, c’est que ce surcroît d’austérité a brisé la mécanique fragile de la reprise qui avait commencé. Oublier les leçons de cet épisode, au moment où l’on redoute que l’Europe ne soit au bord de la déflation, serait dangereux. Face au risque de déflation, la BCE est aujourd’hui largement impuissante : quoi qu’elle en dise, il n’y a plus grand-chose dans sa «boîte à outils» dont elle puisse se servir utilement. Il n’en va pas de même des gouvernements : le rythme des resserrements budgétaires continue d’avoir un effet sur la conjoncture et l’amélioration actuellement observée doit beaucoup à son ralentissement. Si demain la menace déflationniste se faisait plus pressante, ralentir encore ce rythme, voire adopter des mesures de stimulation serait la seule arme efficace. Savoir que l’Allemagne et la Finlande s’y opposeraient sans doute n’est pas rassurant !
Regarder plus loin ne l’est malheureusement pas plus. Les pays européens se sont en effet engagés à ramener progressivement leurs dettes publiques à 60 % du PIB. Pour beaucoup d’entre eux, cet engagement implique un effort budgétaire supplémentaire important puis le maintien, pendant deux décennies, d’un excédent primaire substantiel. Vouloir le faire quoi qu’il advienne et demander à la Commission d’y veiller avec intransigeance pourrait maintenir la zone euro au bord de la déflation pendant encore plusieurs années. L’accalmie qui règne aujourd’hui ne devrait-elle pas être utilisée par les gouvernements pour clarifier les choses et dire comment ils comptent écarter cette menace ?
Reconnaître qu’on ne peut tergiverser sans fin pour contenir la progression des dépenses publiques est indispensable. Mais admettre que la restriction budgétaire a, dans les circonstances actuelles, des effets négatifs sur la conjoncture et qu’à ce titre elle demande à être maniée avec précaution l’est tout autant. A vouloir trop longtemps faire semblant d’ignorer leurs divergences de vues, les gouvernements de l’euro risquent de découvrir, trop tard, que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.