La surchauffe, un moyen de soutenir la croissance américaine

Publié le 21 octobre 2016 à 9h58    Mis à jour le 21 octobre 2016 à 17h29

Anton Brender

Presque un an après le «décollage» des Fed funds, les marchés continuent de s’interroger sur la trajectoire à venir des taux directeurs américains : jusqu’où et à quel rythme vont-ils monter ? A ces questions, l’exposé fait la semaine passée à Boston par Janet Yellen apporte, sinon des réponses, du moins des éléments de réflexion nouveaux. La présidente de la Réserve fédérale n’avait en effet jamais aussi clairement émis l’idée qu’il pourrait, à long terme, être bénéfique pour la croissance américaine de laisser l’économie traverser une phase de relative «surchauffe».

Janet Yellen part d’un constat simple : plusieurs années après la Grande Récession, les perspectives de croissance de l’économie paraissent s’être étonnamment réduites. La baisse profonde du taux de chômage, observée malgré une reprise de l’activité particulièrement molle, est due en effet à une baisse du taux de participation et à la faiblesse des gains de productivité. Si ces derniers n’accélèrent pas, le potentiel de croissance de l’économie américaine risque, à l’horizon des dix prochaines années, d’être nettement inférieur à 2 % par an. Même si la baisse du taux de participation – sa rapidité ne peut pas s’expliquer par les seules évolutions démographiques – devait cesser, la population en âge de travailler progressant maintenant faiblement, le rythme auquel augmente la productivité du travail devient déterminant. Or, il est retombé sur les niveaux les plus faibles observés depuis la guerre, ceux des années 1970.

La présidente du Comité de politique monétaire américain avance alors, avec la prudence qu’il se doit lorsqu’on sait à quel point ce Comité est actuellement divisé, l’idée que ce potentiel de croissance décevant pourrait être dû, pour une part au moins… à la faiblesse de l’activité passée. Au lendemain de la crise financière, les entreprises, confrontées à un surcroît d’incertitude et à une demande apathique, auraient réduit leurs efforts d’investissement et d’innovation, freinant ainsi les gains de productivité. Après une crise qui a profondément déprimé la demande, baisser les taux pour faire repartir l’activité pourrait dès lors ne pas suffire à réparer les dégâts causés au potentiel de production. Pour parvenir à faire croître plus rapidement l’offre, il faudrait, pendant quelque temps, soumettre l’économie à une forte pression de la demande : cette pression stimulerait aussi bien l’investissement, sous toutes ses formes, que la création d’entreprises et éventuellement aussi le retour sur le marché du travail de ceux qui, découragés, l’ont quitté.

L’originalité du propos de Janet Yellen n’a pas besoin d’être soulignée. D’abord parce qu’il remet en cause l’idée selon laquelle l’explication des faibles gains de productivité observés aujourd’hui dans la plupart des économies développées est à chercher uniquement du côté de l’offre et que seules des «réformes structurelles» peuvent y remédier. Ensuite parce qu’elle apporte un éclairage nouveau sur ce que pourrait être la politique de la Réserve fédérale au cours des prochaines années. Quel que soit en effet le résultat des prochaines élections, la probabilité de voir le Congrès s’accorder sur des mesures budgétaires qui viendraient soutenir significativement la demande intérieure est faible. La «mise sous pression» de l’économie américaine a donc toutes chances de ne pouvoir passer que par la politique monétaire. Faut-il en conclure que la Réserve fédérale ne montera pas ses taux en décembre ? Sans doute pas. Cette hausse, voulue par plusieurs membres du FOMC, est maintenant largement anticipée par les marchés. Mais si la Réserve fédérale faisait sienne l’hypothèse avancée par sa présidente, le rythme des hausses suivantes sera clairement plus espacé que beaucoup ne l’attendent. La Fed s’engagerait alors dans une expérience audacieuse semblable, par certains traits, à celle menée par Alan Greenspan il y a une vingtaine d’années : à partir du milieu des années 1990, en ne freinant pas l’activité par des hausses de taux, il avait permis de découvrir que le potentiel de croissance de l’économie américaine était, pour un temps au moins, nettement plus élevé qu’estimé. On peut penser toutefois que, forte de cette expérience, la Fed saura cette fois réduire la pression à temps !

Anton Brender

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