Leçons londoniennes
Le Royaume-Uni nous offre actuellement un laboratoire très utile pour prendre la mesure des marges de manœuvre existantes pour les décideurs européens. La crise n’a pas encore atteint son point de résolution, mais certaines leçons peuvent déjà être tirées.
Commençons par la politique budgétaire. Trois erreurs peuvent expliquer la réaction très négative du marché aux annonces de Londres. La première tient à l’absence de partage du financement du bouclier tarifaire entre les énergéticiens et les finances publiques. Alors que l’Union européenne (UE) s’achemine vers des plafonds imposés aux producteurs d’électricité dits « inframarginaux », c’est-à-dire ceux dont les coûts de production sont très inférieurs à ceux du gaz, la réticence extrême du gouvernement britannique à mettre en place tout instrument qui s’apparenterait de près ou de loin à un impôt a reporté l’intégralité du coût sur le budget de l’Etat, engendrant un gonflement du déficit prévisible à court terme. Il a fallu attendre le 12 octobre pour que le gouvernement revoie sa position sur ce point. La deuxième erreur, probablement plus fondamentale, réside dans l’ajout d’allégements permanents de la fiscalité qui vont dégrader, sur le long terme, la trajectoire de la dette publique. La troisième, plus discrète, mais tout aussi problématique de notre point de vue, tient à ce que la résolution de l’équation budgétaire était trop dépendante d’une accélération sensible de la croissance potentielle sous l’effet de réformes structurelles peu convaincantes.
Cela devrait mettre en garde les gouvernements européens contre la tentation d’aller plus loin que l’accommodement temporaire du choc inflationniste actuel et leur rappeler la nécessité de rassurer rapidement sur la trajectoire de long terme des finances publiques. Par ailleurs, pour des pays comme l’Italie, qui comptent également sur une accélération de la croissance potentielle pour assurer la soutenabilité des finances publiques, le respect de leurs engagements précis sur les réformes structurelles négociées avec l’UE prend encore plus d’importance à la lumière du contre-exemple britannique. Le marché ne semble pas prêt à tolérer des stratégies fondées sur des « dividendes de la croissance » miraculeux.
Sur le plan monétaire, l’action de la Banque d’Angleterre pour gérer le risque de voir se développer une crise systémique à partir des fonds de pension était nécessaire, mais sa forme elle-même était problématique. La source des difficultés des fonds de pension était leur nécessité de trouver suffisamment de cash pour répondre aux appels de marge sur leurs opérations de leveraging, d’où l’apparition d’une spirale sur le marché obligataire, les fonds étant forcés de céder leurs actifs en urgence pour dégager du cash. En toute logique, injecter de la liquidité directement vers les fonds aurait dû être la priorité. Toutefois – possiblement parce que prise par le temps –, la Banque d’Angleterre a choisi d’intervenir sur le marché obligataire directement. Les achats de titres, combinés à l’annonce d’un report d’un mois du démarrage du Quantitative Tightening, ont pu créer, d’une part, l’impression d’un mélange des genres avec la politique monétaire, en rupture avec l’orientation plus restrictive des derniers mois, et, d’autre part, inciter les acteurs du marché à compter sur un soutien indéfini dans le temps de la part de la BoE, même si l’intervention était annoncée comme s’achevant au 14 octobre. En tout état de cause, l’action de la banque centrale a donné au gouvernement un délai pour modifier son programme budgétaire, mais ce « temps de la réflexion » n’a pas été rapidement mis à profit par le gouvernement britannique pour rassurer les marchés, mettant la banque centrale dans une position très embarrassante.
Tout cela devrait nous conduire à affiner ce que le marché peut attendre du mécanisme « antifragmentation » mis en place par la BCE, le Transmission Protection Instrument (TPI), qui permet à la banque centrale d’intervenir via des achats de titres en cas de « durcissement injustifié des conditions financières » pour un Etat membre. Contrairement au programme mis en place par la BoE, le TPI est assorti – de manière très discrétionnaire – de conditions imposées à l’Etat membre bénéficiaire. Le marché semble avoir considéré que cette conditionnalité serait très légère. L’exemple du Royaume-Uni, dont le gouvernement n’a pas immédiatement répondu à la pression du marché et à l’action de la banque centrale par une modification en profondeur de ses projets budgétaires, devrait conduire la BCE à beaucoup plus de fermeté si le TPI devait être actif. Là encore, le destinataire principal de ce message pourrait bien être l’Italie.
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