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Les actifs verts sont-ils trop chers ?
Les entreprises cataloguées « vertes » s’échangent en Bourse à des prix bien supérieurs à la moyenne, alors que les « brunes » se trouvent dévalorisées. Cet écart tend à se creuser, et ne devrait pas diminuer, compte tenu des enjeux climatiques.
La tendance de la demande des investisseurs pour les actifs verts est indéniable dans toutes les régions du monde. Toutes les enquêtes montrent que la majorité des investisseurs déclarent intégrer les critères extrafinanciers dans leurs choix de portefeuille, et plus particulièrement les aspects climatiques. Quel est l’impact sur les prix de cet engouement pour les actifs verts ? Les actifs « bruns » sont-ils dévalorisés relativement aux actifs verts ?
Dans leur article récent « Environmental Preferences and Sector Valuations », deux chercheurs de la Banque de France analysent les différences de valorisations boursières des entreprises selon leur secteur d’activité. En s’appuyant sur une description très précise des secteurs d’activité (à partir des plus de 600 types de la nomenclature internationale TRBC), ils distinguent 63 entreprises vertes et 279 brunes parmi 5 714 entreprises de 71 pays (base Datastream). Ils étudient les PER (price earning ratios) de long terme des entreprises qui, sur la période 2018-2021, avaient en moyenne un niveau de 14,8. Sur cette période, les entreprises vertes avaient un PER de 2,5 points supérieur à la moyenne et les brunes de 2,5 points inférieur, soit un écart de valorisation d’environ un tiers.
Ces différences très notables se sont accentuées années après années entre 2018 et 2021, ainsi que les volumes de transactions de ces deux types de valeurs. La prise en compte de caractéristiques financières (profitabilité, levier, etc.) ne modifie pas ce résultat, les entreprises vertes gardant une valorisation de l’ordre de 20 % supérieure à la moyenne et les entreprises brunes d’environ 14 % inférieure, quand leurs caractéristiques financières sont également intégrées. Les ratios de valeur comptable (book to price) sont, de la même façon, supérieurs pour les entreprises brunes et inférieurs pour les entreprises vertes. En revanche, les valorisations (PER) tendent à être inférieures pour celles des entreprises qui ont des scores environnementaux (moyenne de quatre agences) supérieurs... Un paradoxe illustrant l’hétérogénéité des scores et leur pouvoir explicatif parfois discutable !
Un rôle croissant des critères extrafinanciers
Cette étude très simple, mais originale dans sa méthode, indique sans ambiguïté le rôle des critères extrafinanciers dans les valorisations boursières. Des critères qui prennent une importance croissante. L’étude détaille d’ailleurs ces impacts selon les différentes régions du monde et, surprise, c’est aux Etats-Unis que l’écart est le plus prononcé. La cohérence entre les PER et les ratios comptables indique un effet clair et indiscutable. Est-ce à dire que la valorisation reflète l’excès de demande par rapport à l’offre ? L’attention récente portée à la transition énergétique, notamment, devrait conduire à cette situation, du moins en Europe.
L’effet mesuré ne porte, par construction dans cette étude, que sur un nombre limité d’entreprises. Il est beaucoup plus difficile d’évaluer l’impact sur la valorisation des entreprises moins distinctement vertes ou brunes, relevant pour partie des deux catégories, comme certains producteurs d’énergie peuvent l’être. On peut néanmoins en conclure que la décomposition fine des activités des entreprises, de leurs perspectives bénéficiaires et de leurs trajectoires de transformations seront des éléments clés de valorisation dans le futur, et ce quelle que soit la région du monde dans laquelle elles opèrent. L’angle social pourrait être également considéré. Par ailleurs, la cherté des actifs verts a été également repérée pour d’autres classes d’actifs. C’est le cas en particulier des obligations vertes, dont les spreads sont inférieurs aux autres obligations de caractéristiques équivalentes ; mais cet écart d’environ 0,1 % est beaucoup moins prononcé en moyenne que sur les actions, comme le montre cette recherche. Cette surévaluation des actions des entreprises vertes n’est pas passée inaperçue des investisseurs et, compte tenu des enjeux climatiques, devrait perdurer.
« Environmental Preferences and Sector Valuations », Tristan Jourde et Arthur Stalla-Bourdillon, Entretiens de la Finance Durable, Paris, décembre 2023. L’article a reçu le prix de la conférence.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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