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Les cours boursiers intègrent-ils une prime de biodiversité ?

Publié le 3 juillet 2024 à 16h15

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

Si les questions climatiques sont désormais au cœur des préoccupations des investisseurs, celles liées à la biodiversité sont apparues plus récemment. Deux premières études montrent pourtant un impact de l’empreinte des entreprises en termes de biodiversité sur les cours boursiers.

L’attention des investisseurs aux questions climatiques est désormais générale et de très nombreux travaux scientifiques attestent de l’importance de ces questions pour la valorisation et le risque boursier des titres des entreprises cotées partout dans le monde, y compris dans les pays moins acquis à ces aspects. Les questions d’impact sur la biodiversité sont apparues plus récemment sur le devant de la scène, notamment après la réunion de Kunming en 2021 où de nombreux pays ont pris des engagements en matière de défense des espèces naturelles. Est-ce que ces nouvelles considérations se traduisent aussi dans les cours ?

Deux articles récents, « The Biodiversity Premium » et « Do Investors Care About Biodiversity ? », utilisent les données de Corporate Biodiversity Footprint (CBF) élaborées par l’Iceberg Data Lab qui fonde ses analyses sur la mean species abundance (MSA) déterminée par kilomètre carré d’activité. La mesure CBF consiste à suivre l’impact des entreprises sur le MSA des sites où elles opèrent. En croisant ces mesures avec les données financières des entreprises ainsi suivies, les chercheurs ont pu, pour la première fois, établir les impacts des dommages ou des risques de biodiversité sur les cours boursiers.

Un facteur de risque boursier croissant quand l’attention se porte sur le sujet

La première étude se focalise sur 522 firmes américaines, pendant la période 2012 à 2020. Les chercheurs établissent un facteur biodiversité en constituant un portefeuille long-short, composé des entreprises aux plus forts CBF moins celles aux plus faibles CBF. Ce facteur se révèle être différent de celui lié au climat et seuls les cours des entreprises les plus sensibles, dans les secteurs les plus exposés à ce risque, paraissent en pâtir pendant la période étudiée.

La deuxième étude considère une période plus récente, 2020 à 2023, et un ensemble de 2 106 firmes cotées dans 34 pays. Leurs analyses indiquent que les CBF n’ont pas d’influence significative avant la réunion de Kunming mais qu’au contraire, elles deviennent positives après. Ainsi, pour un écart type d’exposition CBF supplémentaire, la performance est moindre d’environ 2,2 % sur un an. Les entreprises des pays les moins contraignants en matière de biodiversité sont plus impactées que celles des pays plus stricts. En outre, les firmes les plus exposées au risque de biodiversité ont été affectées par une baisse les jours qui ont suivi la conclusion de l’accord, montrant bien le lien avec ce facteur de risque sur lequel l’attention s’accroît.

Les chercheurs s’intéressent également aux aspects textuels et constatent que les entreprises les plus exposées ne consacrent qu’une faible part de leur communication à la biodiversité, seules 6 % d’entre elles mentionnent le sujet lors de leurs réunions trimestrielles. L’analyse croisée avec les données financières tend à montrer qu’en moyenne, sur l’échantillon considéré, l’empreinte biodiversité (CBF) augmente avec la taille de l’entreprise et ses émissions de CO2, et diminue avec le levier financier et la croissance des actifs, les secteurs les plus concernés étant l’énergie, les services utilitaires et le bâtiment.

Ces premiers travaux dépendent évidemment des mesures d’empreinte et de leur estimation. Il est toutefois très utile d’en disposer et de pouvoir commencer à intégrer cette dimension. C’est d’ailleurs une mesure d’impact sur la diversité qui est au centre de l’approche, et celle-ci apparaît d’autant plus importante dans les pays les moins regardants sur la question. L’estimation sera sans doute discutée et s’affinera avec les utilisations qui en seront faites.

Au total, à la lecture de ces deux études, il apparaît que les facteurs extra-financiers, la biodiversité en étant un de plus, ont bien un effet sur les valorisations boursières. Ils influencent clairement la demande de titres et ont ainsi un effet sur l’équilibre de marché et sa résultante, le cours de Bourse. L’école de Chicago, pour continuer à être pertinente, devra réviser ses hypothèses !

Guillaume Coqueret, Thomas Giroux et Olivier David Zerbib, « « The Biodiversity Premium », séminaire Essec, mai 2024.

Alexandre Garel, Arthur Romec, Zacharias Sautner et Alexander F. Wagner, « Do Investors Care About Biodiversity ? », séminaire TSE Banque de France, mai 2024.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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