Les décisions de crédit des banques dépendent-elles du mode de présentation des informations sur l’emprunteur ?
Le formidable développement des technologies de l’information que nous avons connu ces dernières années a favorisé la disponibilité de données, éléments clés dans la prise de décision au sein des entreprises, des banques et des institutions financières. Cependant, un nombre croissant d’études économiques suggèrent que la manière dont les informations sont présentées aux décideurs joue aussi un rôle important. Plus précisément, ces études révèlent que les décideurs sont amenés à accorder un poids disproportionné aux éléments saillants, la saillance étant définie comme la propriété d’attirer automatiquement et involontairement l’attention du décideur.
Prenons, par exemple, le cas d’une personne qui se trouve en face d’une série de livres sur une même étagère. Tous les livres ont la même couverture bleue sauf un qui a une couverture rouge. A cause de sa couleur distinctive, le livre rouge attirera plus probablement l’attention du lecteur et sera parcouru en premier. Si les êtres humains sont enclins à ce type de biais dans leurs décisions, les banques en tant que décideurs sophistiqués sont-elles également affectées ? En particulier, la question que nous examinons dans un article récent1 est de comprendre si la manière d’afficher les informations relatives à une entreprise influence les décisions de crédit des banques.
Notre analyse exploite le processus de révélation des informations relatives aux défauts de paiement sur les effets de commerce en France. Lorsqu’une entreprise ne paie pas son fournisseur dans les délais, la banque qui devait effectuer le paiement (ci-après la banque déclarante) observe le défaut et est tenue par la loi d’en informer la Banque de France dans un délai de quatre jours ouvrables. La Banque de France stocke ensuite ces informations sur sa plateforme, accessible à tous les prêteurs. L’obligation réglementaire de notifier le défaut à la banque centrale accentue la saillance du défaut pour la banque déclarante. Tous les autres prêteurs, qu’ils aient ou non une relation avec l’entreprise, acquièrent les informations sur le défaut en accédant à la plateforme de la Banque de France, qui fournit notamment des résumés indiquant tous les défauts sur effets de commerce.
Le défaut de paiement sur un effet de commerce est un signal négatif sur la solvabilité d’une entreprise : toutes les banques devraient réduire leur offre de crédit à une entreprise qui a fait défaut. Mais selon l’hypothèse de saillance, nous nous attendons à ce que la banque déclarante réduise davantage l’offre de crédit à cette entreprise que les autres prêteurs.
«L’analyse montre que les banques surréagissent aux informations présentées de manière saillante»
Pour tester cette hypothèse, nous utilisons des données sur les flux de crédit au niveau banque-entreprise de 2012 à 2019. Nous comparons le flux de crédit offert par la banque déclarante à celui d’autres prêteurs pour chaque emprunteur. Nous constatons que toutes les banques réduisent leur offre de prêts aux entreprises faisant défaut. Mais la réaction de la banque déclarante est environ six fois plus grande que celle des autres prêteurs. Nous examinons alors si les effets s’amplifient encore lorsque la saillance du défaut augmente. Nous montrons que c’est le cas. En particulier, nous documentons que la réduction de l’offre de crédit est d’autant plus importante que les défauts signalés par le guichet bancaire le jour du défaut de l’entreprise sont peu nombreux. En outre, nous montrons que la réaction de la banque au défaut d’un emprunteur croît avec le délai écoulé depuis le dernier défaut de paiement déclaré par le guichet bancaire.
Ces résultats indiquent que la saillance des informations affecte les décisions de crédit des banques, mais il reste à savoir si les banques surréagissent aux informations saillantes. Pour comprendre cela, nous nous focalisons sur les défauts liés à un litige entre une grande entreprise et son fournisseur, plutôt qu’à une incapacité de payer de l’entreprise. Ces défauts sont un signal beaucoup moins fort sur la solvabilité de l’entreprise, et pourtant, nous trouvons que les banques déclarantes réagissent de la même manière, alors que rationnellement elles ne devraient pas. Cette réaction indique que les banques surréagissent aux informations présentées de manière saillante. Notre analyse a des implications sur la conception de systèmes de partage d’informations. En particulier, nos résultats suggèrent qu’on ne devrait pas seulement prêter attention à la quantité d’informations partagées, mais aussi à la manière dont ces informations sont affichées.
1. Baros A., Croci E., Girotti M., Salvadè F. (2023), « Information Salience and Credit Supply : Evidence from Payment Defaults on Trade Bills », Documents de travail de la Banque de France, n° 918.