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Les informations extra-financières jouent aussi sur la Bourse

Publié le 4 janvier 2023 à 12h17

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

Aux Etats-Unis comme en Europe, les informations extra-financières ont un impact sur les cours boursiers, de sorte que les stratégies d’investissement fondées sur l’exploitation de ces informations s’avèrent rentables.

Les informations financières engendrent des variations de prix : c’est logique et bien connu. Qu’en est-il de l’information extra-financière ? Le scandale du diesel par exemple a bien montré qu’elle pouvait avoir un impact ponctuellement très négatif sur les cours. Mais, au quotidien, quel peut être l’impact sur les marchés des informations ESG, dont certaines peuvent être évidemment positives ?

Deux articles récents tentent de répondre à cette question. Ils utilisent les techniques nouvelles d’analyse du langage naturel qui permettent de décrypter des quantités importantes d’information pour les traiter de façon systématique. Le premier1 utilise la plateforme Causality Link qui agrège les informations de presse et les comptes rendus de brokers sur les bourses américaines. Le deuxième2 s’appuie sur une base propre (créée à partir d’ElasticSearch) et s’intéresse aux titres européens du Stoxx 600. Les deux études définissent des mesures similaires évaluant titre par titre la quantité de nouvelles et leurs tonalités positives ou négatives, à la fois pour les données financières et extra-financières. Ces signaux sont ensuite exploités pour mettre en place des stratégies de placement acheteuses (« long ») s’appuyant sur les nouvelles positives ou acheteuses financées par des ventes pour les nouvelles négatives (« long-short ») pendant des périodes à peu près identiques, de plusieurs années, entre 2015 et 2021.

Des performances très positives pour les petites valeurs

Les résultats sont tout à fait éloquents : avec des nuances entre les marchés, les nouvelles financières et extra-financières ont des impacts réels significatifs sur les marchés et sont exploitables dans des stratégies de portefeuille. Sur les marchés américains, les stratégies long-short sur données financières apportent en moyenne 1,3 % de performance supplémentaire par jour avant frais de transaction et quelques points de base pour les données extra-financières, ce qui est très important. Cette performance est plus forte pour les petites valeurs (2 %) et pour les nouvelles ayant une caractéristique positive marquée.

En Europe, les données financières ou extra-financières sont très significatives et pratiquement au même niveau. Les stratégies mises en œuvre modifient les portefeuilles mensuellement et ne sont pas tout à fait comparables aux précédentes. Mais leurs performances s’avèrent très positives, avec des ratios de Sharpe (rentabilités divisées par le risque) nettement supérieurs à 1 (trois fois plus que les marchés en moyenne) tant pour les données financières que pour les données extra-financières. Pourtant des différences apparaissent entre les études (qui peuvent résulter de différences de méthodes d’ailleurs), les données américaines tendent à montrer que l’information filtre dans le marché un à deux jours en avance alors qu’en Europe, il faut quelques jours après l’annonce pour que les prix intègrent l’information. Au total, sans surprise, l’impact des informations ESG est réel mais manifestement plus tangible sur les valeurs européennes.

Ces études originales, conduites d’ailleurs par des équipes françaises, montrent combien la recherche académique sur les données extra-financières bat son plein et apporte d’intéressantes perspectives pour les investisseurs et les autres acteurs à plus court terme sur les marchés. La technologie est manifestement le levier aux côtés d’une fabuleuse puissance informatique. Ces techniques tendent à montrer que l’inclusion de l’information dans les cours n’est ni automatique ni immédiate. Une meilleure compréhension de ces phénomènes va à coup sûr engendrer de nombreuses autres analyses. De même, le pouvoir prédictif identifié par les deux études méritera d’être plus amplement analysé : est-il dépendant des catégories de titres, des secteurs, des types d’information et de leur fraîcheur, du consensus des commentaires ? Là où seul l’avis d’expert pouvait être consulté, les machines vont pouvoir systématiquement éclairer ces impacts. Certains seront stables, mais à n’en pas douter, certains seront transitoires ou sujets à des effets de mode. D’autres études viendront confirmer, infirmer ou affiner ces travaux particulièrement intéressants. Comme pour les nouvelles, affaire à suivre !

1. Karen Huyhn, Marie Brière, Olav Laudy, Sébastien Pouget, « What do We Learn from a Machine Understanding News Content Stock Market Reaction to News ? », Entretiens de la finance durable Paris 2022.

2. Hans Jorg von Mettenheim, Hoang-Viet Le, Stéphane Goutte, Fei Liu, « News sentiment : a Hands-on Approach to Sectors, Companies and Portfolio Management », Entretiens de la finance durable Paris 2022.

Mots clés ESG
Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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