Recherche
Les investissements occidentaux en Chine ont contribué à y transférer la pollution
Les investissements directs réalisés en Chine par les entreprises occidentales ont contribué sensiblement à augmenter les émissions de CO sur le territoire chinois. La stratégie consistant à exclure certaines activités en occident est donc inopérante, si elle revient à transférer la pollution en Asie. Mieux vaudrait inciter à un transfert des activités polluantes vers les acteurs industriels capables de décarboner.
La Chine a connu d’incroyables années de croissance et s’est sortie ainsi en bonne partie de la pauvreté. Comme le Japon dans les années 1970 du siècle dernier, puis les « dragons » dont la Corée dans les années 1990, les pays d’Asie sont progressivement passés du statut de pays émergents à celui de pays développés, exportant à leur tour leurs activités vers des pays qui le sont moins. La Chine a, pendant cette période, joui d’un impressionnant volume d’investissements directs principalement industriels, puis a elle-même exporté des capitaux et activités industrielles vers d’autres pays, notamment vers le Vietnam voisin. Ces transferts ont-ils eu un impact sur les émissions de gaz à effet de serre par la Chine, par transferts de certaines activités polluantes et par ensuite leur réacheminement vers d’autres pays ?
L’article « The Environmental Impact of Industry-level Greenfield FDI : Evidence from 30 Chinese Provinces and 32 Economic Sectors », rédigé par des chercheurs chinois, s’intéresse à la pollution consécutive aux investissements directs, vers et depuis la Chine, entre les années 2003 et 2016. Ils ont croisé une base de données chinoise très détaillée portant sur les émissions de CO2 dans 30 régions et dans 32 secteurs économiques avec les investissements directs recensés par le Financial Times (FDI Markets). Sur la période indiquée, les investissements directs en Chine sont passés de 101 à 41 milliards alors que ceux depuis la Chine vers l’étranger de 10 à 112 milliards, montrant bien le changement de statut d’importateur à exportateur de capitaux. Sur cette période, les émissions de CO2 ont augmenté globalement en Chine de 63 %. Il est donc intéressant de savoir si les investissements directs ont eu un impact sur ces émissions.
Une industrie lourde fortement émettrice de carbone
Les résultats de cette étude sont sans appel : les investissements directs vers la Chine ont substantiellement contribué à l’augmentation des émissions alors que les investissements directs chinois à l’étranger n’ont pas diminué ces émissions. Pire, les investissements directs chinois, dont deux tiers ont été effectués en Europe et aux Etats-Unis, tendent à accroître les émissions de CO2, ce qui laisse deviner que les activités les plus polluantes demeurent en Chine. Les analyses détaillées de ces chercheurs montrent que ce sont les régions chinoises les plus développées économiquement qui contribuent le plus à ces surcroîts d’émissions. L’industrie lourde est le principal secteur contributeur d’un accroissement d’émissions de CO2. Certains grands groupes de chimie ont d’ailleurs fait l’objet de poursuites avec amendes à la clé.
Cette étude montre combien les analyses complètes des émissions sont utiles. Déplacer des déchets ou des activités polluantes chez le voisin n’est pas une solution, quand bien même elle permet d’améliorer le profil de l’entreprise qui délocalise ses activités à impact climatique négatif. L’ampleur de la réduction d’émissions en Chine s’en trouve augmentée d’autant, aggravant le défi et alourdissant son coût. Comme en matière d’investissement responsable, l’exclusion pratiquée dans un portefeuille reporte sur les autres investisseurs la charge de la stratégie de transition ainsi que ses coûts. Ces attitudes ne peuvent conduire à des solutions de long terme. Il s’agit bien de transformer les process de production à la base et de financer la transition au sein des entreprises.
Les produits dérivés financiers avaient apporté dans les années 1980 une solution économiquement et financièrement utile aux agents et à l’économie en général. En permettant de transférer les expositions à certains risques, de ceux des agents qui ne souhaitent pas les subir vers ceux qui peuvent les supporter, ces produits ont permis de mieux répartir les risques, et par là même d’en prendre davantage. Est-ce qu’une forme de transfert vertueux, similaire à celui de ces dérivés, entre les pollueurs et ceux qui ont les technologies pour dépolluer est également imaginable et réalisable à grande échelle ?
The Environmental Impact of Industry-level Greenfield FDI : Evidence from 30 Chinese Provinces and 32 Economic Sectors.
Wei Lia, Yifan Wanga, Nadia Doytchb, Xiaoting Sang.
Hanoi Financial Conference, novembre 2023.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
Du même auteur
La réglementation ESG change l’allocation des fonds, mais non le comportement des entreprises polluantes
Depuis 2015, la loi impose aux fonds de détailler leurs impacts climatiques. Cette législation, si…
De l’intérêt du non-coté
Le non-coté a le vent en poupe, mais la recherche commence à peine s’y intéresser. Elle cherche à…
Les social bonds sont-ils plus chers que les autres ?
Le segment obligataire des social bonds, qui financent des projets à vocation sociale, dans la santé…