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Modèles : les avantages incertains de l’intelligence artificielle
Si la règle d’or traditionnelle de la modélisation mathématique, notamment en finance, est la limitation du nombre de paramètres pris en compte, l’intelligence artificielle prétend au contraire aboutir à de meilleurs résultats avec de très nombreuses données. Cette affirmation est contestée par certains chercheurs.
La modélisation mathématique a, depuis le dix-huitième siècle, tenté de représenter la réalité physique et s’est attaquée plus récemment aux domaines économique et financier. La règle d’or de la modélisation a toujours été la parcimonie : tenter, si possible, d’utiliser le moins d’équations et le moins de paramètres possibles. D’ailleurs l’estimation des paramètres à partir d’un jeu de données au moyen de techniques statistiques est d’autant plus réussie que le nombre de ces paramètres est réduit, ce qui valide implicitement la règle d’or. Celle-ci vaut-elle aussi pour l’intelligence artificielle ?
Deux articles récents portant sur des sujets financiers aboutissent à des conclusions inverses. Le premier, « The virtue of complexity » de Bryan Kelly, chercheur à Yale, prétend que l’abondance de paramètres améliore la modélisation alors que le second, « Less is more ? Biases and overfitting in machine learning return predictions » de Clint Howard, analyste de Robeco, tend à confirmer la règle d’or. Le premier tente de montrer théoriquement et empiriquement qu’en ajoutant plus de nœuds et de couches dans un réseau de neurones, l’un des outils phares de l’IA, la qualité des prédictions s’améliore. Par exemple, ces réseaux prédisent l’évolution mensuelle du Dow Jones de 1926 à nos jours bien mieux que les modèles de l’économétrie classique et obtiennent des ratios de Sharpe pour des stratégies de gestion de portefeuille fondées sur ces prévisions deux fois supérieurs à ceux de modèles linéaires classiques.
Le deuxième article tente quant à lui de montrer, à l’inverse, que l’abondance n’est pas toujours synonyme d’amélioration. Le chercheur s’intéresse à la prévision des rentabilités des actions américaines sur la période allant de 1957 à nos jours. Il compare les résultats obtenus en utilisant l’ensemble des données à ceux obtenus en classant les entreprises selon leur taille, réparties en trois catégories : petites, moyennes et grandes. L’expérience très simple consiste à regarder les résultats des modèles selon que toute l’information est utilisée ou non. Dans cet exemple, les ratios d’informations (mesurant l’efficacité prédictive des modèles) sont supérieurs avec les entreprises réparties en plusieurs groupes… donc avec moins de données, quels que soient les modèles (classiques ou IA).
Un bouleversement des habitudes et des croyances
L’IA bouleverse les habitudes et les croyances, et la finance n’échappe pas à cette remise en cause. Plusieurs chercheurs ont tenté de montrer théoriquement pourquoi « plus c’est mieux », comme le premier article. Mais les démonstrations partent d’hypothèses qui réduisent souvent la portée de la conclusion. Et l’exemple pris par le deuxième article, certes sur une dimension différente qui est la taille de l’échantillon, montre que l’inverse est parfois vrai ! Les prétendues capacités de l’IA à différencier les données et surmonter les artefacts, si bien illustrées dans le cas de l’analyse d’images, sont prises en défaut sur un exemple banal...
De nombreux articles étudient également les capacités d’analyses textuelles de l’IA. La combinaison d’outils quantitatifs comme les réseaux de neurones et l’analyse textuelle promet un autre saut qualitatif en la matière. D’ailleurs, l’accroissement des données disponibles, par exemple avec les récentes obligations de reporting des données extra-financières, va dans le sens de l’utilisation d’outils plus complexes que les modèles utilisés depuis une cinquantaine d’années, qui avaient pourtant révolutionné les disciplines économiques et financières.
Pour autant, la fiabilité et la stabilité de ces abstractions, mathématiques ou informatiques, restent et resteront discutables. Sommes-nous sûrs que le monde que nous appréhendons est prévisible ? Comme se plaît à le dire le spécialiste du climat Jean-Marc Jancovici, les lois de la nature ne sont pas modifiables par l’Assemblée nationale, au contraire de celles concernant la finance. Comment les marchés pourraient-ils s’abstraire du contexte politique et social qui les entoure ? Par ailleurs, l’IA (comme la modélisation classique) fonctionne d’autant mieux que les bonnes variables prédictives ont été choisies !
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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