Théorie du portefeuille et biais comportementaux
Entre la théorie du portefeuille, datant des années 1950, et la réalité de l’allocation d’actifs, l’écart a toujours été important. La finance comportementale permet d’expliquer une bonne part de cette divergence.
L’homo economicus qui optimise rationnellement son portefeuille d’actifs en suivant des règles enseignées dans toutes les bonnes universités n’est pas vraiment de ce monde. Harry Markowitz, le père de cette théorie dite « moderne » du portefeuille (datant des années 1950), a proposé quelques hypothèses pour simplifier le problème de l’allocation entre différents actifs ; il a obtenu sous ces hypothèses une méthode d’optimisation de portefeuille qui lui a valu, d’abord quelques difficultés à passer sa thèse, puis, quelque trente ans plus tard, le prix Nobel d’économie. Pourtant cette référence incontestable est souvent très éloignée des comportements des investisseurs individuels ou professionnels.
Dans leur article intitulé « A note on portfolio choice and behavioral finance: some food for thought », Marie Pfiffelmann et Patrick Roger décrivent les moyens par lesquels plusieurs chercheurs ont tenté de rapprocher cette théorie du portefeuille des comportements observés en pratique. Cette branche de la finance, appelée finance comportementale, s’est inspirée de travaux comme ceux de Daniel Kahneman, autre prix Nobel, de Meir Statman, de Richard Thaler, et de beaucoup d’autres dont l’article présente les travaux de façon synthétique. Ces différentes écoles de pensées visent à mieux décrire, par les hypothèses et leurs formalisations mathématiques, le comportement des investisseurs « normaux » plutôt que de leur présupposer une rationalité bien hypothétique au regard des faits.
Trois composantes
Les chercheurs distinguent trois composantes principales qui différencient les cadres proposés de celui de référence. Premièrement, la fonction d’utilité, qui, de façon plus réaliste, vise à optimiser la rentabilité sous contrainte de risque de perte ou de ruine, mais également distingue plusieurs compartiments dans le portefeuille en fonction des finalités de l’épargne : classiquement épargne de précaution ou épargne retraite n’ont pas les mêmes horizons et en gestion institutionnelle, les différents éléments de passifs peuvent être traités en « cantons ». Deuxièmement, les lois de probabilités associées aux rentabilités des actifs peuvent s’écarter sensiblement de la loi normale postulée par Markowitz, soit objectivement parce que les rentabilités des actifs financiers suivent d’autres lois, soit parce qu’involontairement ou volontairement l’investisseur opère une distorsion de ces probabilités. C’est par exemple le cas des événements rares comme Maurice Allais l’avait mis en évidence : les risques de perte extrême sont souvent surestimés par les épargnants de même que les probabilités de gains de loteries. Enfin, troisièmement, l’univers des placements possibles est généralement réduit par l’investisseur, par méconnaissance, par crainte ou encore volontairement, notamment quand une réglementation impose des limites. Le biais domestique est une illustration de ce point car la théorie amènerait les portefeuilles à être beaucoup plus (une bonne moitié au moins) investis en actifs étrangers qu’ils ne le sont dans les faits (de l’ordre de 10 %), et ce, dans tous les pays au monde.
Critères extra-financiers
Reconsidérer l’optimum financier d’un portefeuille est d’autant plus d’actualité que l’adjonction de critères extra-financiers peut changer notablement la donne. Il ne s’agit plus nécessairement de considérer les seuls critères monétaires mais d’y associer avec un poids plus ou moins important des critères et impacts environnementaux ou sociaux. En outre, ramener au présent toute la séquence de flux futurs suppose des hypothèses de réinvestissement et de la stabilité des conditions financières qui sont discutables comme, par exemple, la baisse des taux sur les quarante dernières années l’atteste. Le cadre de Markowitz, beaucoup plus simple, apportait une réponse, certes critiquable, là où aujourd’hui la finance comportementale pose davantage de questions et montre l’importance des critères de choix.
Est-il raisonnable de rationaliser le comportement humain, comme le fait la théorie de Markowitz, ou est-il préférable d’en accepter les biais quitte à ce que les résultats soient moins bons pour les investisseurs ? Certains biais sont en fait l’expression de souhaits implicites et paraissent mériter d’être mieux pris en compte. D’autres en revanche sont inefficaces voire nuisibles et devraient être combattus, à tout le moins, dénoncés afin que les investisseurs agissent en connaissance de cause. Cet article, louable dans son objectif de synthèse, montre combien nos connaissances se sont développées ces dernières décennies et, comme c’est souvent le cas, l’étendue des questions qui restent à traiter.
« A note on portfolio choice and behavioral finance: some food for thought » Marie Pfiffelmann et Patrick Roger, Bankers Markets and Investors, 2021.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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